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Affaire Villanueva : un bilan déontologique lamentable

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Dans l’affaire Villanueva, comme dans bien d’autres d’ailleurs, le Commissaire à la déontologie policière n’a pas fait mentir sa peu enviable réputation de machine à rejeter les plaintes. À l’approche du septième anniversaire du décès de Fredy Villanueva, la Coalition contre la répression et les abus policiers présente un bilan en déontologie policière en lien avec cette bavure policière.

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En juin 2009, un militant de la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) a porté plainte au Commissaire à la déontologie policière pour dénoncer l’écart marquant dans le traitement des témoins policiers et civils qui étaient présents dans le stationnement de l’aréna Henri-Bourassa, à Montréal-Nord, lorsque l’agent Jean-Loup Lapointe, matricule 3776, a ouvert le feu sur trois jeunes non-armés, tuant ainsi Fredy Villanueva, 18 ans, le 9 août 2008.

On se rappellera en effet que les policiers appelés sur les lieux n’avaient pas suivi la procédure interne du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) applicable lorsqu’un citoyen perd la vie durant une intervention policière.

Appelée « Mode de fonctionnement 241 », la procédure interne du SPVM énonce les tâches des différents intervenants policiers lorsque survient pareille situation.

La procédure interne prévoit que le policer agissant comme premier intervenant sur les lieux de l’incident « localise et identifie les témoins civils et policiers et si possible les isole les uns des autres ».

Quant au superviseur de quartier, le MF 241 stipule qu’il « isole le policier impliqué » et « s’assure de la prise en charge des témoins civils et policiers et prend les dispositions nécessaires afin que personne n’entre en contact avec les témoins civils et policiers, à l’exception du personnel enquêteur de la SCM [NDR : Section des crimes majeurs], d’un officier cadre du SPVM ou d’un professionnel de la santé ».

Or, l’agent Lapointe et sa partenaire, Stéphanie Pilotte, avaient pu demeurer ensemble, et même communiquer avec leurs proches, dans les heures qui ont suivi le drame.

À l’opposé, les témoins civils immédiats avaient été séparés les uns et des autres, isolés du reste du monde et virtuellement détenus au Centre opérationnel est du SPVM en attendant d’être rencontrés par les enquêteurs de la Sûreté du Québec, ce corps policier s’étant vu confier l’enquête criminelle sur l’intervention policière du 9 août 2008 en vertu d’une politique ministérielle.

Un tel contraste dans le traitement des témoins civils et policiers n’a pu faire autrement que d’alimenter les soupçons de favoritisme et de parti-pris pro-policiers de la part des officiers de police en position d’autorité en moment des faits.  

Le plaignant avait d’ailleurs joint en annexe à sa plainte plusieurs articles de journaux, notamment des éditoriaux, afin de démontrer que la différence de traitement entre témoins civils et policiers avait choqué une bonne partie de la population québécoise. Après tout, l’une des principales raisons d’être du système de déontologie policière n’est-elle pas de préserver la confiance du public envers l’institution policière ?

L’enquête déontologique s’est révélée plutôt laborieuse. Jean-Marc Lévesque, l’enquêteur responsable du dossier pour le Commissaire à la déontologie policière, a en effet dû passer au travers de l’ensemble des transcriptions des témoignages entendus lors de la longue enquête publique du coroner André Perreault sur les causes et circonstances du décès de Fredy Villanueva. Pour mesurer l’ampleur de la tâche, il suffit de se rappeler que l’enquête publique a nécessité plus de cent journées d’audition.

Le 18 juillet 2013, le Commissaire à la déontologie policière de l’époque, Me Claude Simard, a donné raison au plaignant en décidant de citer pas moins de huit policiers – dont quatre commandants du SPVM – relativement à leur rôle respectif dans le traitement différentiel des témoins civils et policiers.

(Dans le jargon déontologique, une citation est synonyme de mise en accusation devant le Comité de déontologie policière, un tribunal administratif spécialisé ayant le pouvoir d’imposer des sanctions aux policiers fautifs, allant de l’avertissement jusqu’à la destitution).

Le Commissaire à la déontologie policière reprochait au sergent René Bellemare et aux commandants Roger Jr. Bélair, Sylvain Champagne, Roxane Pitre et Clément Rose, du SPVM, ainsi qu’aux sergent-détectives Bruno Duchesne et Marcel Lagacé, de la Sûreté du Québec, de ne pas s’être comportés de manière à préserver la confiance et la considération que requiert leurs fonctions « en ne prenant pas les mesures nécessaires quant au traitement des policiers impliqués directement dans l’événement ayant mené au décès de Fredy Villanueva, soit les agents Stéphanie Pilotte et Jean-Loup Lapointe, commettant ainsi un acte dérogatoire prévu à l’article 5 du Code de déontologie des policiers du Québec ».

Le Commissaire à la déontologie policière reprochait aussi au sergent-détective Claude Marchand, aux commandants Clément Rose et Roxane Pitre, du SPVM, ainsi qu’aux sergent-détectives Bruno Duchesne et Marcel Lagacé, de la Sûreté du Québec, de ne pas s’être comportés de manière à préserver la confiance et la considération que requiert leurs fonctions « quant à la prise en charge des témoins civils dans l’événement ayant mené au décès de Fredy Villanueva, commettant ainsi un acte dérogatoire prévu à l’article 5 du Code de déontologie des policiers du Québec ».

On efface tout !

Alors que les huit policiers cités étaient en attente de leur procès, Me Paul Larochelle a succédé à Me Simard au poste de Commissaire à la déontologie policière, le 19 février 2014.

Au moment de sa nomination, Me Larochelle était procureur à la direction principale des poursuites pénales à l’Agence du revenu du Québec. Il avait également occupé les fonctions de mandataire permanent au Bureau du procureur général du Canada, de 1985 à 1994.

Puis, le 23 septembre 2014, coup de théâtre : le commissaire Larochelle décide de faire marche arrière et annule les citations décidées par son prédécesseur à l’encontre des huit policiers du SPVM et de la Sûreté du Québec.

Notons qu’au moment où le commissaire Larochelle a rendu cette décision, il ne comptait alors qu’à peine sept mois d’expérience au poste de Commissaire à la déontologie policière, alors que son prédécesseur, Me Simard, était dans sa huitième année de service à cette même fonction au moment où il a ordonné la mise en accusation des huit policiers du SPVM et de la Sûreté du Québec.

Dans une décision rendue le 22 octobre 2014, le Comité de déontologie policière a autorisé le retrait des citations.

« Le Comité n’a pas de motif pour refuser le retrait des citations, et rien ne lui permet de conclure que le Commissaire n’a pas tenu compte de la nature de la plainte et de l’intérêt public dans sa décision », écrit Pierre Drouin, président du Comité de déontologie policière.

Informé de la décision, le plaignant n’a rien pu faire pour renverser la vapeur.

En effet, la Loi sur la police, qui encadre juridiquement le système de déontologie policière, ne prévoit aucun recours pour le plaignant lorsque le Commissaire à la déontologie policière décide de soulager les policiers des citations portées eux. Le législateur québécois a donc décidé que le plaignant n’a aucun mot à dire lorsqu’il est confronté à pareille situation.

D’ailleurs, une fois que le Commissaire à la déontologie policière a décidé de déposer une citation, le plaignant est, en quelque sorte, « dépossédé » de son dossier, dans la mesure où il n’est plus reconnu comme une partie au litige.

C’est pourquoi l’intitulé des causes entendues sur le fond par le Comité de déontologie policière ne porte jamais le nom du plaignant, et toujours celui du Commissaire à la déontologie policière. (Par exemple : Commissaire à la déontologie policière c. l’agent Bouchard, au lieu de Pierre-Jean Jacques c. l’agent Bouchard).

Le plaignant a toutefois exercé son droit d’accès à l’information, une semaine après l’audience du Comité de déontologie policière, en demandant au Commissaire à la déontologie policière de lui communiquer tout document se rapportant à la décision rendue par Me Larochelle relativement au retrait des citations, de même le rapport produit par l’enquêteur Lévesque relativement à sa plainte ainsi que toute correspondance écrite entre les avocats des policiers et ceux du commissaire dans ce dossier.

Malheureusement, le Commissaire à la déontologie policière n’a pas communiqué aucun des documents ci-haut mentionnés, et ce, sans même daigner invoquer de motifs de refus, comme le prévoit pourtant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Le plaignant s’est donc adressé à la Commission d’accès à l’information, lui demandant de procéder à la révision de la décision rendue par la  Me Louise Letarte, la responsable de l’accès à l’information pour le Commissaire à la déontologie policière.

Ce n’est que le 3 juillet 2015, soit huit mois après l’envoi de la demande d’accès à l’information, que le Commissaire à la déontologie policière s’est enfin décidé à envoyer un document, par ailleurs caviardé, au plaignant.

Rédigé par le commissaire Larochelle, le document communiqué compte 22 pages et renferme les motifs de sa décision de renoncer à aller de l’avant avec les citations déposées contre les huit policiers du SPVM et de la Sûreté du Québec.

Dans sa lettre accompagnant le document, Me Letarte a invoqué plusieurs articles de la loi sur l’accès à l’information, mais aussi de la Loi sur la police, la Loi sur le Barreau et même du Code de déontologie des avocats et de la Charte des droits et libertés de la personne, pour justifier son refus de communiquer les autres documents faisant l’objet de la demande d’accès.

Les motifs de refus énoncés par Me Letarte seront vraisemblablement débattus lors d’une éventuelle audience devant la Commission d’accès à l’information.

Les raisons d’une capitulation

Le document communiqué permet d’apprendre que des demandes de précisions adressées aux procureurs du Commissaire à la déontologie policière par les avocats des huit policiers cités sont à l’origine de la décision du commissaire Larochelle de « procéder à une révision » des citations en question.

Malheureusement, le document ne contient aucune information additionnelle sur la nature des précisions sollicitées par les avocats des policiers. La lecture du document permet néanmoins de deviner le contour des moyens de défense qu’entendait invoquer les policiers cités devant le Comité de déontologie policière.

Fait à souligner, le commissaire Larochelle reconnait noir sur blanc dans le document qu’il y a bel et bien eu différence de traitement entre témoins civils et policiers :

Je constate le traitement particulier dont ont bénéficié les agents Pilotte et Lapointe le soir du 9 août 2008 soit de la part d’officiers qui seront en contact avec eux (Bellemare, Bélair, Champagne) ou à distance par des officiers strictement en charge de la scène ou de l’enquête (Pitre, Rose, Duchesne, Lagacé). Mis en parallèle avec le traitement des témoins civils, on note une différence de traitement.

« Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, cette appréciation personnelle ne peut être constituée à elle seule une assise à une faute déontologique et au surplus la caractérisation des gestes reprochés pour chaque policier demeure un fardeau incontournable ».

Le commissaire Larochelle souligne « [qu’]une norme déontologique doit être généralement reconnue et connue de l’ensemble des membres de la profession concernée, elle doit représenter un bon comportement ou une bonne pratique auquel adhèrent les membres du groupe, la preuve de ces principes est fondamentale à l’établissement de la transgression qui s’établit par cet écart marqué entre la norme et la conduite reprochée ».

Or, le commissaire Larochelle constate l’hétérogénéité des règles en matière de traitement de témoins lors d’enquêtes de la police sur la police.

« En clair, écrit-il, il n’y a pas d’uniformité dans les directives quant au traitement des témoins policiers ou des témoins civils, et bien que nous pouvons faire valoir l’existence de l’article 5 du Code de déontologie des policiers du Québec nous nous retrouvons dans ce cas précis et particulier face à des disparités auxquelles s’ajoutent en tout premier lieu cette grande difficulté factuelle d’individualiser les gestes dérogatoires. Les directive du SPVM, de la SQ ou du SPVQ reprennent, ajoutent, précisent ou interprètent la politique ministérielle ».

Le commissaire Larochelle soulève une autre difficulté, soit l’interprétation divergente que font les policiers cités des obligations que leur imposent leurs procédures internes.

« L’isolement des témoins policiers, écrit-il, est compris par certains comme signifiant un isolement de la scène d’événement, par d’autres cela signifie de les séparer physiquement, pour certains autres on y voit une situation qui ne serait pas de leur ressort et finalement état de situation globalement non problématique pour d’autres officiers provenant soit du corps de police impliqué ou du corps de police désigné ».

En ce qui concerne l’isolement des témoins civils, le commissaire Larochelle écrit que les « 4 témoins sont isolés physiquement et amenés au Centre opérationnel Est, ils attendront l’arrivée des enquêteurs de la Sûreté du Québec, leur statut légal n’a pas été éclairci pendant la période d’attente mais ils collaboreront tous à l’enquête et fourniront leur version des faits ».

« Comme Commissaire, ajoute-t-il, je constate que les divers policiers impliqués dans la prise en charge des témoins civils ont respecté les procédures qui leur sont applicables, en isolant les témoins civils les uns des autres jusqu’à ce qu’ils soient rencontrés par un enquêteur. Leur conduite n’en est pas une qui repose sur une décision individuelle, mais qui relève de ces politiques. Mais d’autres policiers n’ont pas séparés l’un de l’autre les deux principaux témoins policiers mais les ont isolés de la scène d’événement selon leur compréhension ».

Le commissaire Larochelle ne manque d’ailleurs pas de critiquer les dispositions du Mode de fonctionnement 241 relatifs au traitement des témoins, tout en reconnaissant que cette problématique échappe à sa juridiction.

« Bien que l’organisation policière soit exclue de son champ de compétence, j’estime toutefois que les procédures et pratiques appliquées sont problématiques en soi, puisqu’elles vont à l’encontre des droits des témoins de ne pas collaborer à une enquête, fussent-ils des témoins privilégiés d’un événement majeur », écrit-il.

Cela étant, le commissaire Larochelle voit mal comment il pourrait reprocher aux policiers cités d’avoir mise en œuvre les procédures internes de leur propre corps de police.

« Dans le présent contexte, il n’existe pas de cette preuve probante permettant de conclure qu’en appliquant les lignes de conduite, et en respectant les règles internes émises par leur organisation policière, les policiers ont posé des gestes empreints de malice ou de mauvaise foi, susceptibles de constituer une faute caractérisée sur le plan déontologique », lit-on.

Et le commissaire Larochelle de conclure :

Après réévaluation de la preuve et des évaluations portées à ma connaissance, j’en viens à la conclusion que les procureurs du Commissaire ne pourraient adéquatement soutenir, ce qui aurait constitué les mesures nécessaires qui auraient dû être prises par les policiers cités. De plus, les allégations de fautes déontologiques, par action ou omission, pouvant être reprochées aux policiers cités ne pourraient rencontrer le fardeau de la preuve prépondérante.

C’est ainsi que le Commissaire à la déontologie policière a déclaré forfait avant même d’aller sur le champ de bataille.

Si la CRAP était commissaire à la place du commissaire…

Il est profondément décevant de constater que le commissaire Larochelle semble avoir avalé tout rond les excuses mises de l’avant par les huit policiers cités pour justifier la différence de traitement entre témoins civils et policiers.

Pour sa part, la CRAP est plutôt d’avis que les moyens de défense des policiers cités n’étaient pas infaillibles, loin de là.

Le commissaire Larochelle écrit que les policiers du SPVM ont donné des interprétations différentes de l’obligation d’isoler les témoins policiers tel que stipulée par le Mode de fonctionnement 241.

Certains des policiers cités auraient ainsi compris cette obligation « comme signifiant un isolement de la scène d’événement »…

Or, ce n’est pas ce que dit la procédure interne.

Bref, ces policiers font dire quelque chose au MF 241 que la procédure interne du SPVM ne dit pas.

Dans ces circonstances, on voit mal comment une défense aussi boiteuse pourrait permettre aux policiers d’avoir gain de cause devant le Comité de déontologie policière.

Si la CRAP avait été Commissaire à la déontologie policière à la place du commissaire Larochelle, elle aurait appelé le dictionnaire Larousse à la rescousse pour mettre un terme aux débats sémantiques inutiles sur la définition qu’il faut donner à la notion d’isolement.

Voici les différentes définitions que l’on retrouve dans le Larousse en ligne :

Mettre quelqu'un physiquement à l'écart des autres hommes par mesure de protection : Isoler un prisonnier, des contagieux.

Tenir quelqu'un moralement à l'écart, lui empêcher toute relation : Ses opinions l'isolent de sa famille.

Aller quelque part pour y être seul, tranquille, à l'écart...

Séparer un lieu de ce qui l'entoure.

Se placer à l'écart des autres.

La défense mise de l’avant par les policiers cités est d’autant plus douteuse quand on sait que l’obligation d’isoler des témoins civils énoncée par le MF 241 n’a jamais donné lieu à des différences d’interprétation. 

De plus, le devoir imposé au superviseur de quartier à l’effet de prendre « les dispositions nécessaires afin que personne n’entre en contact avec les témoins civils et policiers » ne laisse place à aucune ambiguïté possible.

Le commissaire Larochelle semble incapable de voir une faute déontologique dans la conduite des policiers cités, et ce, en dépit du fait qu’il reconnaisse lui-même que les témoins policiers et civils n’ont pas fait l’objet du même traitement.

Pourtant, en appliquant une différence de traitement entre témoins policiers et civils, les policiers cités ont fait preuve de favoritisme au profit des premiers et au détriment des seconds, ce qui constitue en soi une faute déontologique selon la jurisprudence.

« Tout policier doit respecter les gens, présenter l'apparence d'une justice neutre et ne pas attirer la déconsidération pour irrespect de la personne. Il s'agit de l'image que doit véhiculer le policier dans ses rapports avec le public », écrit en effet le juge Claude René Dumais de la Cour du Québec. (1)

Le devoir de neutralité des policiers a aussi été énoncé par le Comité de déontologie policière dans les affaires Commissaire à la déontologie policière c. Dubuc (2), Commissaire à la déontologie policière c. Lamontagne (3), Commissaire à la déontologie policière c. Guérette et Commissaire à la déontologie policière c Côté.

Maintenant, en ce qui concerne le traitement des témoins civils, pas besoin de chercher bien loin pour trouver une infraction déontologique.

L’article 6(5°) du Code de déontologie policiers du Québec prévoit en effet que le fait de détenir, aux fins de l’interroger, une personne qui n’est pas en état d'arrestation constitue un abus d’autorité et, conséquemment, une faute déontologique.

Qui plus est, un officier du SPVM a même déjà été condamné par le Comité de déontologie policière pour avoir ordonné la détention de témoins civils dans un contexte rappelant celui de l’affaire Villanueva.

Lorsque le sergent Michel Tremblay du SPVM a abattu Marcellus François, un homme noir non-armé âgé de 24 ans, le 3 juillet 1991, les trois personnes qui prenaient place avec ce dernier dans la voiture ont tous été emmenés au poste 24 par les policiers pour y être interrogés.

« Le lieutenant Palacio a abusé de son autorité en détenant M. Ford ainsi que Mmes Williams  et  Stouffer », a ainsi conclut  le  Comité de  déontologie policière, lequel a  sanctionné l’officier du SPVM en lui imposant dix journées de suspension. (4)

Le commissaire Larochelle ne voit pas comment il pouvait citer des policiers pour avoir appliqué la procédure interne prévue par leur propre corps policier.

Il y a toutefois quelque chose de dangereux dans le raisonnement du commissaire Larochelle puisqu’il suffirait à un corps policier québécois de créer une procédure interne obligeant leurs membres à poser des gestes illégaux pour se soustraire à la justice déontologique.

Le policier fautif n’aurait alors qu’à plaider l’obéissance aux règles internes de son organisation pour échapper à toute sanction.

Il est vrai que l’obéissance à l’ordre d’un supérieur peut être un moyen de défense recevable en droit canadien.

Cependant, si la CRAP avait été commissaire à la place, elle aurait opposé cette ligne de défense aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Finta.

Le plus haut tribunal a en effet statué que l’obéissance à des ordres ne pouvait être d’aucun secours à un fonctionnaire public « lorsque les ordres en question étaient manifestement illégaux ».

Pour la CRAP, il ne fait aucun doute que le fait de détenir un témoin aux seules fins de l’interroger représente une entorse claire et évidente à l’article 6(5°) du Code de déontologie des policiers du Québec, donc un geste manifestement illégal, pour reprendre l’expression utilisée par la Cour suprême du Canada.

Feu vert à la désinformation policière

Le prédécesseur de Me Larochelle, le commissaire Claude Simard, a lui aussi rendu des décisions décevantes en lien avec l’affaire Villanueva.

Dans sa plainte, le militant de la CRAP avait aussi demandé au Commissaire à la déontologie policière de sévir à l’endroit des policiers responsable de la diffusion d’un communiqué de presse de la Section relations-média du SPVM en rapport avec l’intervention policière qui a couté la vie à Fredy Villanueva.

Le texte du communiqué de presse avait été dicté à une préposée du SPVM par l’agent Yannick Ouimet, qui se trouvait sur les lieux de l’intervention policière à ce moment-là. Le texte du communiqué avait ensuite été approuvé par l’inspecteur-chef Paul Chablo, suite à une conférence téléphonique entre différents officiers haut-gradés du SPVM, soit le responsable de la Section des communications corporatives, le responsable de la Section des crimes majeurs, le responsable de la région concerné et le commandant du poste de quartier 39, Roger Jr. Bélair.

Le communiqué du SPVM, diffusé durant la soirée du 9 août 2008, énonçait ce qui suit :

Vers 19h10, les policiers patrouillant dans le secteur de Montréal-Nord ont fait une intervention dans le parc Henri-Bourassa situé à l'intersection des rues Pascal et Rolland. Au cours de l'intervention, alors qu'ils tentaient de procéder à l'arrestation d'un suspect se trouvant sur les lieux, les policiers se sont fait encercler par plusieurs individus. À un certain moment, un mouvement de groupe s'est déclenché et un bon nombre d'individus se sont rués vers les policiers et les ont agressés. Un des policiers présent aurait alors fait feu en direction des suspects, atteignant trois d'entre eux.

Les informations contenues dans le communiqué du SPVM ont par la suite été reprises par plusieurs médias.

Or, le communiqué du SPVM est inexact à différents égards, en ce sens qu’il contient des éléments qui n’ont jamais pu être corroborés par la preuve recueillie par l’enquête de la Sûreté du Québec.

C’est ce qui est ressorti du témoignage du responsable de l’enquête de la Sûreté du Québec, sergent-détective Bruno Duchesne, à l’enquête publique du coroner sur le décès de Fredy Villanueva.

« On n’a pas été capable de démontrer que les policiers s’étaient fait entourer, a déclaré le sergent-détective Duchesne. Ça, ça ne correspond pas avec notre enquête ».

En fait, les enquêteurs de la Sûreté du Québec n’ont jamais pu trouver un seul témoin pouvant corroborer l’allégation selon laquelle les policiers impliqués avaient été encerclés durant l’intervention policière.

« "Encercler", tout ce qu’on a, c’est beaucoup de témoins qui nous disent que les gens se sont rapprochés très près des policiers. J’ai rien qui me dit le mot... "Encercler", j’ai pas de témoins qui me disent "encercler", mais très près des policiers », a expliqué l’enquêteur de la Sûreté du Québec.

Le sergent-détective Duchesne a également déclaré que son enquête n’avait pas permis d’établir qu’un « bon nombre d’individus » s’étaient « rués » sur les policiers impliqués, comme l’a également allégué le communiqué du SPVM.

« Rués, non, approchés des policiers, oui, a-t-il précisé. Quant au nombre, on en a seulement qu’un. On en a deux avec la version de monsieur Lapointe. »

Bref, les auteurs du communiqué du SPVM ont carrément versés dans l’exagération, quand ce n’est pas la fiction pure et simple.

De plus, la nature des informations contenues dans le communiqué du SPVM, qui ne sont d’ailleurs pas rédigées au mode conditionnel – sauf lorsqu’il est question des coups de feu tirés par l’agent Jean-Loup Lapointe – semblent contrevenir aux dispositions du Guide de pratiques policières, un document produit par le ministère de la Sécurité publique.

Si le Guide de pratiques policières ne fait pas force de loi, les tribunaux lui attribuent toutefois un poids légal équivalent à celui d’une directive administrative, rendant ainsi ses dispositions contraignantes pour l’ensemble des membres des corps policiers québécois.

Dans sa section consacrée aux enquêtes de la police sur la police, le Guide de pratiques policières stipule que le corps policier impliqué, en l’occurrence le SPVM, se doit « d’assurer la liaison avec les médias en se tenant strictement aux faits, sans commenter la responsabilité des policiers impliqués, et les réfèrent, pour toute autre information au service de police désigné chargé de l’enquête », soit la Sûreté du Québec dans le présent cas.

Le fait que le communiqué du SPVM présente les deux policiers impliqués comme étant des victimes qui usent de légitime défense pour se protéger contre un « bon nombre » d’agresseurs s’apparente sans équivoque à une tentative de blanchir les constables Lapointe et Pilotte de toute responsabilité criminelle devant le tribunal de l’opinion publique.

Le Commissaire à la déontologie policière a cependant rejeté les allégations du plaignant, en écrivant ce qui suit :

À la lecture du communiqué émis par le SPVM quelques heures après l’événement, le Commissaire ne décèle aucun élément démontrant qu’il était biaisé. Le communiqué a été rédigé à partir des premières informations recueillies sur le terrain, disponibles à ce moment.

Il n’était pas de la responsabilité des relationnistes média de faire enquête avant sa rédaction, ni de suspendre sa diffusion le temps de faire la lumière complète sur les circonstances de l’événement.

La décision du commissaire Simard a ensuite été maintenue par le Comité de déontologie policière.

« Le Comité souscrit à la décision du Commissaire. Il ne voit pas dans le contenu du communiqué une intention de tromper », conclut le tribunal déontologique présidé cette fois-ci par Me Richard W. Iuticone.

Pourtant, lorsqu’un policier communique des fausses informations à des journalistes, il commet une infraction déontologique, comme l’a énoncé le Comité de déontologie policière dans l’affaire Commissaire à la déontologie policière c. Côté.

Dans l’affaire Commissaire à la déontologie policière c. Alleva, le Comité de déontologie policière avait aussi conclu que des agents de la police de Brossard avaient dérogés au Code de déontologie des policiers du Québec « en parlant publiquement de "prostitution" avant le dépôt des accusations » lors d’entretiens avec des représentants des médias, « laissant ainsi entendre que les personnes présentes sur les lieux pouvaient être accusées de cette infraction criminelle alors, qu’au surplus, tel n’était pas le cas selon les accusations portées contre celles-ci ».

Or, en écrivant dans leur communiqué que les policiers ont été « agressés », les responsables de la Section relations-média du SPVM ont clairement laissés entendre que les personnes qui ont été atteintes par les projectiles d’arme à feu tirés par l’agent Lapointe avaient commis une infraction criminelle, à savoir voies de fait sur un agent de la paix, alors que dans les faits, aucune de ces personnes n’a été inculpé de quelque infraction que ce soit en rapport avec cet incident.

Une machine à rejeter les plaintes

De toute évidence, le Commissaire à la déontologie policière semble avoir développé une solide expertise pour trouver toutes sortes d’excuses afin de rejeter les plaintes des citoyens, et ce, souvent sans même s’être donné la peine de faire enquête sur le bien-fondé des allégations des plaignants.

On attend encore le jour où le Commissaire déploiera autant de zèle pour trouver des motifs justifiant la mise en accusation de policiers fautifs devant le Comité de déontologie policière.

Le retrait des citations à l’endroit des huit policiers du SPVM et de la Sûreté du Québec est d’autant plus bête que l’affaire Villanueva aurait pu représenter une opportunité pour le Commissaire à la déontologie policière de redorer son blason face à des citoyens qui sont toujours plus nombreux à ne pas être impressionnés par sa sous-performance.

Après tout, compte tenu de la notoriété de l’affaire Villanueva, sans contredit l’une des bavures policières les plus connues de l’histoire du Québec, le procès des huit policiers du SPVM et de la Sûreté du Québec devant le Comité de déontologie policière ne serait certainement pas passé inaperçu, à plus forte raison que quatre commandants du SPVM se seraient retrouvés sur le banc des accusés, ce qui n’est pas chose commune.

Et l’agent Jean-Loup Lapointe dans tout ça ?

Une plainte en déontologie policière a également été logée par un citoyen à l’endroit du policier qui a tué Fredy Villanueva.

Cependant, le 18 juillet 2013, le Commissaire à la déontologie policière, Claude Simard, a décidé que l’agent Lapointe n’avait commis aucune infraction déontologique durant l’intervention du 9 août 2008.

À la CRAP, nous avons toujours été d’avis que l’agent Lapointe devrait répondre de ses actes, non pas devant un tribunal déontologique mais bien devant une cour de justice criminelle.

C’est pourquoi un militant de la CRAP a déposé une plainte criminelle privée à l’endroit de l’agent Lapointe au greffe de la Cour du Québec, le 6 août 2013.

Deux ans plus tard, la Cour du Québec n’avait toujours pas décidé quelle suite allait être donnée à la plainte criminelle privée… comme quoi, tout n’a peut-être pas encore été dit dans l’affaire Villanueva.

 

Joignez-vous à la vigile en l’honneur de Fredy Villanueva

Le dimanche 9 août 2015,

à compter de 18 h,

dans le stationnement de l’aréna Henri-Bourassa

derrière le 12 000 boul. Rolland, à Montréal-Nord

 

Sources :

(1) Girouard c. Racicot, C.Q. 500-02-059923-974, 6 janvier 1999.

(2) Commissaire à la déontologie policière c. Dubuc, C.D.P., C-96-1823-1 et al., 1er septembre 2000.

(3) Commissaire c. Lamontagne, C.D.P., C-98-2361-1, 19 octobre 1998.

(4) Commissaire à la déontologie policière c. Palacios, C.D.P., C-93-1240-3.


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