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Précarité et contrôle social

Alain n'est pas mort pour rien

by BenYaminP


Avec la mort d'Alain Magloire, c'est un nom de plus qui se rajoute sur la liste déjà longue des assassinats perpétrés par le SPVM, la plupart du temps en toute impunité. Cette fois, cependant, les grands médias ne se contentent pas d'en faire quelques lignes remplies de sous-entendus sur la marginalité de la victime. Cette fois, Alain a droit aux gros titres, à l'épanchement douloureux de larmes de crocodiles de la part de journalistes et officiels qui n'ont la plupart du temps pas une cenne pour un itinérant ou un squeegee. Pour eux et elles, l'itinérant est plus digne d'intérêt mort que vivant.

Mais si Alain a droit à tant d'attention posthume, c'est parce que justement, aux yeux de la classe moyenne bourgeoise et de ceux et celles qu'elle sert, il n'est pas un simple itinérant. On s'est aperçu, un peu tard, que le poqué en question était un ancien médecin, avec des enfants, quelqu'un ayant fait des études; en bref, un membre utile de la société. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, encenser l'utilité définie par le marché et la charité petite-bourgeoise. On tolère encore le vendeur de l'Itinéraire, un peu moins le laveur de pare-brise. Le malade qui sent un peu fort, celui ou celle qui parle trop, l'alcoolique, le ou la jeune qui tend le bras n'ont la plupart du temps pas même droit à un regard qui, lorsqu'il leur est accordé, n'est rempli que de commiscération.

 

Pourtant, cette absence d'utilité n'est pas loin de n'être qu'une illusion. Car les itinérants, les pauvres, les poqués, les miséreux sont bien utiles à ceux et celles qui versent des torrents de larmes affligées dans les pages de La Presse ou du Journal de Montréal. On aurait tort de penser que la mort d'Alain n'est due qu'à une bavure de plus, car il n'en est rien. La mort d'Alain, comme toutes les autres l'ayant précédée, sont le fruit de politiques mûrement réfléchies. Si la police est armée et que la seule formation au tir que les agent-e-s reçoivent est faite pour tuer, ce n'est pas le fruit du hasard. Si une partie consistante des centres d'aide de Montréal se situent dans un rayon de quelques kilomètres dont le centre est une place (presque) vide dont la surveillance est aisée, ce n'est pas non plus du fait de l'opération du Saint Esprit. Si la prise en charge psychiatrique est quasiment inaccessible et inadaptée, faisant du SPVM l'agence de régulation de la maladie mentale laissée à elle-même dans des conditions que le mot "précaire" peine à décrire avec justesse, si enfin il semble aller de soi pour les médias dominants que itinérance et maladie mentale s'équivalent, c'est parce que la rencontre de tous ces facteurs est utile et délibérée.

 

Un système, quel qu'il soit, est rarement le fait de la contingence pure, mais protège ou sert généralement ceux et celles qui en bénéficient. Pas besoin d'endosser l'habit du conspirationniste, ceux qui profitent les premiers du pouvoir à Montréal sont loin d'être méconnus. Qu'on se rappelle seulement ceci: la misère, matérielle, mentale ou les deux, permet l'idenfitication facile d'une catégorie de parias; la présence de cette catégorie, sa visibilité, sa répression, la précarité de son existence, servent d'aiguillon efficace pour pousser les un-peu-moins-précaires à se satisfaire de la domination de leur patron, de leur propriétaire, en bref de tous ceux et celles qui, demain, pourraient les faire rejoindre la classe fluctuante des sans-toits. Un hiver dehors, ça vous mate un esprit rebelle. Rien n'est plus facile d'ailleurs que d'utiliser les plus vulnérables comme exemple repoussoir; ce sont les seul-e-s qui n'ont pas d'influence sur le pouvoir, même en termes de votes (le suffrage étant loin de constituer l'influence majoritaire en politique).

 

Ce système bien rodé vient d'écraser une victime de plus; sa biographie dévoilée de la manière dont elle l'est dans les médias ne sert qu'à rappeler qu'il en faut peu pour tomber d'une position confortable dans la misère. Malchance nous disent en coeur les voix de la police, du pouvoir et du marché. Tromperie évidente: le destin d'Alain n'à que peu de choses à voir avec la chance ou son absence.

Voilà pourquoi, si vous en doutiez, l'énième enquête demandée pour tenter de comprendre ce qui a pu mener à l'assassinat d'Alain ne mènera à rien, ou pas grand chose. Voilà pourquoi M. Coderre ne fera pas grand-chose non plus pour rendre réelle sa promesse, dévoilée à l'occasion du dernier dîner des Rois, d'une "obligation de résultats" quant à l'itinérance. Tout comme ses prédécesseurs avant lui, au Québec comme ailleurs, n'ont jamais rien tenté pour réduire efficacement les inégalités sociales et économiques. Elles sont bien trop utiles à celles et ceux qui, grâce à un porte-monnaie rempli par l'exploitation des autres, se fraient un accès rentable aux arcanes du pouvoir.  


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