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Les Droits Étudiant et le Droit à l’Éducation

Réflexions sur les tactiques et stratégies suite au Printemps Érable Québécois

by Bob Whitney


The original English version is posted here

Traduction de l'anglais par Maude St-Amand.

“Rien au sujet de nous, sans nous, n’est pour nous” - Slogan d’étudiants Sud-Africains

“Si vous n’avez pas votre propre stratégie, alors vous faites partie de la stratégie de quelqu’un d’autre.” - Alvin Toffler       

 

 

Le débat sur le « droit à l’éducation » et les « droits étudiant » a été au centre des discussions dans la province de Québec en 2012. Des milliers d’étudiants de tous les niveaux d’éducation, ainsi qu’une grande partie de la population en général, ont demandé le droit à une éducation accessible, abordable, et de qualité. Plusieurs étudiants demandaient aussi l’éducation gratuite.[1] Le support était considérable, autant à l’intérieur du Québec qu’au niveau international, pour l’atteinte de ces objectifs. Beaucoup d’autres personnes, spécialement dans le Canada Anglais, voyaient les demandes des étudiants Québécois comme étant « irréalistes », « radicales », et « utopistes ». Les étudiants Québécois ont été accusés à plusieurs reprises de « croire que tout leur était dû », voulant ainsi dire qu’ils étaient des enfants gâtés demandant une éducation gratuite, et « facile », qui serait payée par les contribuables qui travaillent fort. Mais n’importe qui, n’ayant même qu’une vague connaissance de l’histoire des mouvements étudiants, sait que les demandes des étudiants Québécois sont loin d’être utopiennes, irréalistes, ou encore nouvelles. En effet, il y a plusieurs pays où l’accès à l’éducation universitaire est gratuite, et même si il y a toujours place au débat à savoir à quel point ces différents modèles d’éducation gratuite fonctionnent bien, le principe – le droit – de l’accès à une éducation gratuite et de qualité n’est pas un débat.[2]

      Les Nations Unies ainsi que d’autres corps internationaux ont déclaré que le droit à l’éducation devrait être un droit humain. Nous savons, bien sûr, qu’en réalité il n’y que très peu d’endroits dans le monde où le droit à l’éducation soit réalisable pour la vaste majorité des gens, spécialement les très pauvres et les femmes. L’Article 26 de la Déclaration Universel des Droits de l’Homme stipule :

(1) Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.

 

(2) L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.[3]

 

Au sens général, ces principes sont ceux pour lesquels les étudiants Québécois se battaient (et se battent). Les étudiants Québécois ne sont donc pas hors de la réalité, ils sont à l’avant d’un mouvement international pour rendre l’éducation gratuite et de qualité une réalité, et un droit. Il n’y a rien de mal à sentir que l’on ait droit à une éducation gratuite et de qualité. Mais est-ce que les principes mentionnés ci-dessus sont des « droits » ? En fait, qu’est-ce que les « droits » ? « Qui sont les étudiants ? » Qu’est-ce que l’on veut dire par les « droits étudiant » ? Et est-ce que les étudiants devraient se battent pour les « droits étudiant » et est-ce qu’une partie de cette bataille ne devrait pas être d’accomplir des ententes collectives qui codifient et rendent légitimes les droits étudiant ? Ces questions, et les réponses possibles à celles-ci, sont au cœur de n’importe quelle discussion à propos des stratégies et des tactiques futures du mouvement étudiant au Québec et ailleurs.

 

Que sont les « droits »?

Les gens qui font partie des mouvements étudiants (ou n’importe quel autre mouvement social) sont habituellement motivés par le désir d’atteindre ce qu’ils considèrent comme étant leurs droits. Bien sûr, les droits demandés par les étudiants et les moyens utilisés dépendent entièrement du contexte historique, politique, culturel et économique. Il n’est pas clair non plus jusqu’à quel degré les participants des mouvements étudiant voient leurs demandes ou objectifs comme étant des « droits ». C’est une chose de demander à ce que le prix de l’éducation ne soit pas augmenté ou que les étudiants aient leur mot à dire en ce qui concerne leur éducation ; mais s’en ait une autre de considérer ces demandes comme étant des droits. Il est entièrement possible pour les gens d’accomplir certaines demandes ou victoires sans obtenir plus de « droits ». Les étudiants Québécois n’ont pas plus de droits aujourd’hui qu’ils en avaient lorsqu’ils ont réussi à arrêter l’augmentation des frais proposée par le gouvernement Charest.

Alors que voulons nous dire par « droits » ? Les « droits » sont premièrement et principalement des principes collectifs demandés par les gens qui veulent plus de contrôle sur leur vie. Les droits ne sont pas des privilèges ou des lois qui sont accordés par ceux au pouvoir à ceux qui en ont moins, ou pas du tout. Cette distinction et tension entre les gens qui demandent les droits et le gouvernement qui accordent les droits au peuple est importante et est au cœur de beaucoup de batailles politiques et sociales, incluant le mouvement étudiant.[4]  Les acteurs non étatiques (ceux qui ne font pas partie de l’élite décisionnelle et de son réseau) demandent des droits parce qu’ils veulent avoir leur mot à dire et obtenir plus de contrôle par rapport à leur vie et communautés ; les états (gouvernements) accordent des droits afin de superviser, contrôler et diriger les gens. Pour les autorités de l’état, les lois et les droits sont la même chose, raison pour laquelle autant de politiciens sont à la base des avocats. Si nous acceptons cette définition des droits comme étant des lois, alors le peuple ne devrait pas avoir le « droit » d’enfreindre la loi et c’est les fonctionnaires et les avocats qui définissent quels droits le peuple devrait ou ne devrait pas avoir. Mais si les droits sont définis comme des principes collectifs venant et étant demandés par les acteurs non étatiques eux-mêmes, alors le mieux serait que les lois soient créées pour renforcer et légitimer ces principes collectifs plutôt que d’être utilisées pour réprimer ou dénier les droits jugés illégitimes aux yeux de l’état. Donc, le défi des gens qui se battent pour leurs droits est de trouver un moyen de demander, et de gagner, ces droits sans permettre à l’état de les assimiler, les manipuler et les redéfinir pour ensuite retirer le pouvoir des acteurs non étatiques afin de le mettre entre les mains de petits groupes de politiciens et d’avocats.

 

Qui sont les « Étudiants »?

Ça ne sert à rien de parler des « droits étudiant » et du « droit à l’éducation » si nous n’éclaircissons pas le sens du terme « étudiants ». Par définition, les « étudiants » sont un groupe sans forme. Si l’identité de classe est définie par la relation sociale d’une personne par rapport aux moyens de productions (à quel point le pouvoir de main d’œuvre d’une personne est mobilisé et organisé dans la division capitaliste du travail) alors « l’identité étudiante » peut être définit par la relation sociale d’une personne par rapport aux « moyens d’éducation » – c’est-à-dire les intuitions qui les instruisent. Les relations sociales des étudiants par rapport aux moyens d’éducation sont déterminées par l’âge, le sexe, l’ethnie, la classe, la culture, et la nationalité, en plus de l’endroit où ils vivent et vont à l’école (grande métropole, petit village, quartier riche ou pauvre, région). Beaucoup dépend aussi du type d’école où l’étudiant s’instruit : l’expérience d’un étudiant dans une école secondaire, une polytechnique, un collège technique, un CEGEP, ou une université varie considérablement et il y a une quantité incalculable de raisons pour lesquelles les gens étudient dans ces institutions.

Étant donné l’éventail de possibilités et circonstances, nous pouvons légitimement se demander si les « étudiants » constituent un groupe social cohérant. Puisque les étudiants font partie de la société en général, leurs identités individuelles sont formées par rapport à la classe sociale, sexe, ethnie, culture, et nationalité, incluant la langue. De plus, l’accès de l’étudiant à différents types d’éducation dépend majoritairement de la combinaison complexe et changeante de toutes ces relations. Les étudiants sont donc, au sens le plus simple du terme, des individus qui étudient. Ce qui peut unir les individus unit aussi les étudiants en un groupe social cohérant ; de la même façon, les idéaux et principes partagés en ce qui a trait aux « droits » qu’ils croient qu’ils devraient avoir en tant qu’étudiants créer une union. En suivant la même idée, si les étudiants sont pour avoir une identité collective significative, elle sera façonnée à partir de batailles et circonstances politiques et économiques très spécifiques et contingentes. La majorité des étudiants s’inquiètent de l’augmentation des frais de scolarité, de payer pour des dépenses de bases, et de la qualité de leur éducation. Par contre, d’avoir les mêmes inquiétudes ne veut pas dire avoir la même identité. Ce qui aide à former l’identité d’une personne sont ces moments où elle ou il se bat pout quelque chose, croit en quelque chose, et est prête à travailler avec les autres afin d’atteindre des objectifs communs.

 

Est-ce que les étudiants ont des droits?

Les étudiants, en tant que groupe, en tant que collectivité identifiable dans la société, n’ont pas de droits. L’étudiant individuel a certainement des droits, tout comme un citoyen individuel, mais il n’a pas de droits en tant qu’étudiant. Contrairement à d’autres secteurs de la société (salariés, femmes, groupes raciaux, culturels et religieux), il n’y a pas de consensus formel (légal) ou généralement reconnu stipulant que les étudiants ont, ou devraient avoir, des droits collectifs ou  une « protection » juridiquement parlant. De plus, nous ne devrions pas confondre les lois par rapport à l’éducation avec le droit à l’éducation. Les gouvernements peuvent passer des lois forçant les gens (principalement les enfants) à aller à l’école, mais de forcer les gens à aller à l’école n’a rien à voir avec recevoir une éducation, encore moins d’avoir un « droit » à l’éducation. Le vrai sens du terme « éducation » est une question très contestée et politisée, spécialement dans les sociétés où le système d’éducation fait, par définition, partie de l’idéologie et de l’appareil institutionnel de domination de l’état. Mais le point important à se rappeler pour le moment est que lorsque les étudiants se battent pour le droit à l’éducation (gratuit ou autre), ils n’ont pas de droits collectifs, que ce soit dans leur institution ou dans la société en générale.

Les universités ne sont pas, n’ont jamais été, et n’ont pas l’intention d’être des institutions démocratiques. Depuis leur fondation pendant le Moyen-Âge, les universités ont été créées pour perpétuer le rôle et les intérêts des classes dominantes. Dans les temps modernes, de grandes parties de la population (du moins dans les pays occidentaux capitalistes) ont obtenu l’accès à une éducation universitaire, mais dans l’ensemble, le but d’une éducation universitaire est de permettre au système de pouvoir en place dans la société de mieux fonctionner. La grande majorité des gens qui travaillent dans une université (et étudier est un travail !) sont des étudiants. Mais, contrairement aux autres gens qui travaillent dans une université, les étudiants ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Au contraire, la majorité des étudiants s’endettent lourdement (et travaillent pour un petit salaire en même temps qu’étudier) afin de payer pour leur éducation. Pourtant, les étudiants n’ont aucun mot à dire, et encore moins de droits, quand vient la question du comment les universités sont gérées, quels programmes académiques sont disponibles, et comment les frais payés par ceux-ci sont dépensés. Les étudiants n’ont aucune voix significative ou représentation au sein des corps décisionnels des universités. Il se peut qu’il y ait la présence occasionnelle d’un représentant étudiant au Sénat ou sur les comités universitaires, mais ces représentants sont normalement présents plutôt en tant qu’observateurs que participants. En effet, le gouvernement de l’université relègue les étudiants au rôle d’individus passifs, payeurs de frais de scolarité n’ayant aucun droit, et qui ne devraient pas s’attendre à avoir un pouvoir de parole ou le contrôle sur leur éducation.

La nature non-démocratique de gouvernance des universités justifie la question : est-ce que les étudiants peuvent s’attendre à gagner des droits quelconques à l’intérieur d’une institution qui est fondamentalement non-démocratique ? Cette question n’est pas nouvelle. Vers la fin des années 1960, des organisations, telles les Étudiants pour une Société Démocratique (Students for a Democratic Society) aux Etats-Unis, se sont rendues au point où plusieurs de ces membres ont conclu que la politique étudiante était une impasse et que de réformer ou démocratiser les universités était impossible.[5] Après 1969, avec cette conclusion en tête, les ex-SDS (Étudiants pour une Société Démocratique) se sont intégrés dans un large éventail de causes radicales, mouvements solidaires, et différentes formations politiques de gauches. Ces « vétérans » du mouvement étudiants ont apporté des contributions majeures à des causes progressives pendant les années 1970, 1980, et plus tard. Des débats similaires en ce qui concerne le rôle, le but, et la viabilité à long terme des mouvements étudiants et organisations ont eu lieu lors des dernières années à travers le monde, incluant, bien sûr, au Québec.

Une des trajectoires les plus communes pour les mouvements étudiants est donc de se fusionner avec, ou de se dissoudre dans, de plus grandes batailles pour un changement social à l’extérieur du système d’éducation. Mais est-ce que cette trajectoire veut dire que les étudiants devraient abandonner toutes tentatives afin de gagner des réformes ou des droits à l’intérieur du système universitaire ? Une minorité relativement petite d’étudiants radicalisés peut en venir à cette conclusion, mais que ce passe t-il de la grande majorité des étudiants qui ne sont pas, et ne deviendront peut-être jamais, des activistes engagés ? Est-ce que les mouvements étudiants sont « condamnés » à répéter le cycle quand tôt ou tard les activistes principaux et plus expérimentés (une élite ?) quitteront le mouvement pour joindre d’autres causes, laissant ainsi la majorité des étudiants (et futurs étudiants) se débrouiller par eux-mêmes et probablement répéter plusieurs erreurs du passé ? Une des tensions les plus communes dans les mouvements étudiants se passe entre le petit groupe de « dirigeants » articulés et dévoués à la cause, et la grande majorité des étudiants « moyens » qui se sentent concernés, mais qui ne sont prêt en aucun cas à assumer un rôle qui pourrait ressembler à celui des dirigeants. Sans entrer dans le débat de « l’élitisme » ou du « cliquisme » à l’intérieur des groupes étudiants, les « dirigeants » sont souvent des gens qui mènent seulement pour donner  l’exemple ou qui expriment clairement les idées, et non pas parce qu’ils désirent le pouvoir ou des positions de dirigeants. Mais le problème reste : les batailles évoluent, un lot de demandes en fait naître d’autres qui deviennent plus générales, et ce qui avait commencé en tant que bataille à l’intérieur du système d’éducation déborde sur une bataille pour changer la société.

 

Ententes collectives pour les étudiants: Stratégie viable ou piège politique?

Une des solutions possibles au problème de maintenir la bataille étudiante à l’intérieur du système d’éducation est de se battre pour des ententes collectives entre les étudiants et les administrations. En principe, il ne devrait y avoir rien de radical dans cette idée. Après tout, plusieurs universités ont signé des ententes collectives avec la faculté académique ainsi que les syndicats. Ces ententes exposent clairement certains droits et obligations contraignantes pour les deux parties. Des ententes de ce genre sont une reconnaissance que les gens ont des droits collectifs en tant qu’employés. Pourquoi, en principe, est-ce que les étudiants ne pourraient pas avoir leur propre entente collective qui reconnaîtrait leurs droits collectifs ? Après tout, les étudiants forment la grande majorité des gens qui travaillent à l’université et ce sont leur frais de scolarités qui paient pour un grand pourcentage du budget des universités.  De plus, les ententes de négociations collectives pourraient ouvrir la porte aux étudiants afin d’aller au-delà du problème immédiat des frais de scolarité et rendre plus importante leur parole concernant des questions sur la gouvernance des universités et leurs finances, la programmation académique, la grandeur des classes, la sécurité et la santé, et la représentation des étudiants dans les corps décisionnels politiques au niveau postsecondaire.

La différence évidente entre les étudiants et les autres qui travaillent dans l’université est que les étudiants ne sont pas des employés. Contrairement aux employés salariés, les étudiants n’ont pas de relation contractuelle avec l’administration de l’université. Les employés salariés, ou même la faculté académique salarié, qu’ils soient ou non organisés, peuvent, s’ils le veulent, profiter d’un système de lois et de droits du travail bien établi pour défendre leurs intérêts s’ils se sentent menacés. Les syndicats (et quelques associations académiques) ont été fondé et existent avec le but formel de revendiquer, se battre pour, et défendre les droits collectifs de leurs membres. Le droit à s’organiser est un droit généralement reconnu dans notre société et une des raisons principales pour s’organiser est de gagner une entente collective qui protège les membres d’une organisation. Pourtant, les organisations étudiantes n’ont pas suivit (ou n’ont pas envie de suivre) les pas des autres syndicats et organisations afin de se battre pour des ententes et des droits collectifs.

Il doit tout de même y avoir quelques avantages pour le mouvement étudiant à adopter la stratégie de se battre pour les droits collectifs des étudiants et des ententes collectives. Un avantage serait que les groupes étudiants pourraient organiser les étudiants pour se battre non seulement contre quelque chose (augmentation des frais de scolarité, etc.), mais des droits et libertés concrètes qui seront bénéfiques à tous les étudiants, autant aujourd’hui que demain. Les étudiants futurs, quant à eux, n’auraient pas à recommencer encore et encore les vieilles luttes et ils pourraient améliorer et renforcer les victoires de leurs prédécesseurs. Un autre avantage serait que les groupes étudiants pourraient établir des organisations plus fortes et, avec de la chance, permanente, ancrées dans leurs institutions. En se battant et gagnant des ententes collectives, le mouvement étudiant pourrait bâtir une base politique et organisationnelle solide qui durerait plus longtemps que n’importe quel dirigeant étudiant et qui, souhaitons le, fournirait l’opportunité à de nouveaux dirigeants de naître à l’intérieur d’organisations fortes. Finalement, une présence organisationnelle permanente à l’intérieur d’une institution rendrait possible pour les étudiants, de leur première jusqu’à leur dernière année, de sentir qu’ils font partis d’une organisation efficace et active au cours de leur vie étudiante.

Par contre, bien que de se battre pour des droits étudiants et des ententes collectives puissent sembler attirant, il y a des dangers réels associés avec de telles stratégies. En premier lieu, si nous pensons aux « ententes collectives » dans le sens du terme de « négociations collectives » dans un syndicat typique, n’importe qui ayant pris part à des négociations d’ententes sait à quel point celles-ci demandent du temps, sont bureaucratique, et juridiquement gagnante. Bien sûr, si des ententes collectives sont pour être contraignantes, les avocats doivent être impliqués dans le processus, ce qui coûte énormément d’argent, bloquant ainsi les organisations étudiantes.

Politiquement parlant, négocier et maintenir des ententes collectives demande beaucoup de supervision impliquant un groupe relativement petit de personnes aux connaissances spécialisées concernant les stratégies et tactiques de négociations. Cette division bureaucratique entre le groupe spécialisé de négociateurs et les membres de base risque de créer un écart entre l’élite dirigeante et les membres passifs. Avec le temps, les membres de base deviennent soit satisfait des droits qu’ils ont, ou oublient (ou encore ne se préoccupent pas du fait) qu’ils sont des membres d’un syndicat ou d’un corps collectif. Le dirigeant peut être parfaitement honnête et bien intentionné, mais négocier et superviser des ententes collectives peut facilement gruger tout son temps et son énergie, affaiblissant ainsi dans l’ensemble la force et le cœur de l’organisation. La meilleure entente collective au monde est inutile si les gens ne sont pas assez organisés pour défendre celle-ci en cas de menace.

Un autre danger qui peut surgir lorsque l’on entre dans le monde des ententes collectives contraignantes est que les organisations étudiantes pourraient être assimilées par l’état. Quel meilleur moyen de faire taire les étudiants qu’en « légitimant » leurs demandes en les rendant « officielles » et légales. Certains politiciens peuvent être parfaitement heureux de tromper les étudiants dans le réseau des négociations légalistes et des ententes afin de les superviser et les contrôler. C’est probablement ce qui se cachait derrière la proposition du Ministre de l’Éducation Duchesne du Parti Québécois lorsqu’il a considéré le fait que les associations étudiantes pourraient recevoir le statut de syndicat, ce qui leur permettraient donc de faire leurs demandes par les voies « appropriées » plutôt que dans les rues.[6] Quelques organisations étudiantes qui ont déjà une structure organisationnelle hiérarchique peuvent trouver attirante cette idée d’ententes collectives puisqu’elles sont déjà installées pour des rencontres et des accords à huis clos. Les politiques et organisations étudiantes ont longtemps été un tremplin pour des gens amitieux voulant devenir politiciens. Mais pour les étudiants organisés sur la base de la démocratie directe, des assemblées populaires, et de la construction d’alliances avec d’autres secteurs populaires, de perdre du temps à négocier des ententes collectives pourrait facilement, probablement inévitablement, mener à la bureaucratisation et l’assimilation du mouvement étudiant, ce qui, ultimement, mènerait à sa défaite.[7]

La vraie lutte, de toute façon, n’est pas à savoir si les étudiants devraient ou ne devraient pas avoir des ententes collectives. Ce choix sera déterminé par des groupes spécifiques à des moments spécifiques. Ce qui importe c’est ce pour quoi nous nous battons, c’est-à-dire le droit à l’éducation. Alors, qu’est-ce que l’éducation ?

“L’éducation est le point où on se décide si nous aimons assez le monde pour assumer la responsabilité, et de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus. C’est également avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, no les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun. ”

                                                                                                            Hannah Arendt

 

* * *

Bob Whitney est un activiste de longue dans des mouvements de justice social et de solidarité international, spécialement en Amérique Latine. Il enseigne l’Histoire à l’Université du Nouveau-Brunswick à Saint-John, au Nouveau-Brunswick.

 

 



[1] Voir la couverture et la documentation complète à propos de l’éducation gratuite sur le site web de l’ASSÉ: http://www.asse-solidarite.qc.ca/

[2] Voir la couverture et la documentation complète à propos de l’éducation gratuite sur le site web de l’ASSÉ: http://www.asse-solidarite.qc.ca/

[4] Puisque ceci n’est pas un essai académique, je ne fournirai pas de liste de travaux documentant l’histoire de ce que sont les droits et de quel façon les acteurs étatiques et non étatiques ont définies, et se battent sur le sens de « droits ». Par contre, ces travaux sont assez faciles à trouver.

[5] Les Étudiants pour une Société Démocratique (SDS) étaient loin d’être le premier groupe étudiant à expérimenter de tels débats. Dans les années 1920 et 1930, les organisations étudiantes à travers le monde ont fait des alliances avec des syndicats, des mouvements de libérations et des partis politiques de gauche. En fait, plusieurs groupes étudiants ont décidé de se dissoudre afin que leurs membres puissent participer à de plus grandes luttes pour un changement social. Un livre rapportant une excellente histoire général des mouvements étudiants est celui de Mark Edelman Boren, Student Resistance: A History of the Unruly Subject. (New York and London: Routledge, 2001).

 

[6] Le Devoir, vendredi, 15 février, 2013.

 

[7] L’accessibilité et la participation aux études supérieures Sommet —rencontre 2 Analyse et propositions de l’ASSE. http://www.pressegauche.org/spip.php?article12662; L’ASSE choisit de boycotter le Sommet. Le Devoir, lundi, 18 février, 2013,  L’ASSE choisit de boycotter le Sommet; and ‘Quebec education summit – a public relations operation’. http://lifeonleft.blogspot.ca/2013/02/quebec-education-summit-public.html

 

 


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