repris de La Mauvaise Herbe volume 12 no.1 (Printemps 2013)
Maintenant que Hugo Chávez est intronisé au temple des martyrs du culte de la personnalité de la gauche, l’apologie et la glorification du modèle bolivarien, qui abondaient déjà et qui n’ont fait que s’amplifier, chez ceux qui se réclament du progressisme, des indignés, de la gauche, chez des anticapitalistes, des libertaires et chez leurs journalistes indépendants ou alternatifs ici comme ailleurs, ce texte se veut comme un peu de sable dans l’engrenage de leur machine.
Ce qui en est venu à se nommer bolivarianisme, après que Chávez se soit approprié le terme se référant à l’idéologie de Simón Bolivar – figure historique bourgeoise des guerres d’indépendance d’Amérique du sud – est un modèle de réajustement social de l’État et du capitalisme sous forte rhétorique souverainiste et « révolutionnaire ». Du colonialisme un peu plus raffiné, un colonialisme pour la gauche.
Ce texte ne veut que faire écho à ceux qui s’affrontent à l’État bolivarien. Un écho de leur lutte pour la liberté, l’autodétermination et contre la domination et la destruction des êtres qu’ils aiment et du monde non-humain qui les entourent.
Un écho de quelque chose qu’il est essentiel d’écouter puisqu’il est difficile de l’entendre au-delà de la sérénade partisane et la critique mainstream où la discussion se fait presque uniquement sur les thèmes commodes tels que l’économie et la démocratie. Si les critiques envers les bolivariens à propos de l’autoritarisme, la liberté d’expression et la corruption sont justifiés, les États bolivariens ont rarement de leçons à prendre des autres États, groupes d’intérêts et philosophies politiques et économiques d’où elles proviennent généralement, perdant de ce fait toute légitimité.
Voici un autre angle sur les trois principaux pays qui font parti de l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique), appliquant tous le même modèle de développement économique extractiviste justifié par des régimes de redevances proclamé socialisme du 21e siècle: le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie.
Venezuela
semer du pétrole
C’est bien connu, c’est à travers PDVSA, la compagnie pétrolière de l’État, par sa restructuration et des lois sur son obligation à réinvestir une partie de ses retombées vers des mesures sociales, que le régime bolivarien a pu financer ses politiques populaires comme l’augmentation du salaire minimum, des programmes d’emplois, l’accès à la santé, l’éducation et des réformes agraires. Il a aussi mis sur pied des programmes d’échanges avec d’autres États, comme du pétrole contre des vaches d’Argentine, du software d’Uruguay, de l’expertise médicale cubaine, etc.
Ça peut paraître absurde d’écouter Chávez au congrès sur les changements climatiques à Copenhague en 2009, dénonçant le fait qu’un apport égal soit demandé des États-Unis et la Chine, celle-ci ayant cinq fois plus de population et consommant quatre fois moins de pétrole que les États-Unis et son « capitalisme qui détruit tout », quand on sait que les impérialistes yankees, comme Chávez aime les appeler, sont de très loin les meilleurs clients du pétrole brut vénézuelien et financent donc une partie importante des politiques bolivariennes. C’est un peu comme un vendeur de dope qui traite son meilleur client de sale drogué. La Chine, elle, arrive deuxième devant l’Inde, le Vénézuela lui rembourse ses dettes avec du pétrole. Ce qu’il faut comprendre c’est que l’État bolivarien mise sur le développement industriel des « pays émergents » et leurs demandes d’énergie grandissante pour mieux prendre ses distances avec Washington et contrecarrer son influence en Amérique latine tout en continuant de maximiser la sienne.
Chávez a souvent affirmé que l’exploitation du pétrole au Vénézuela devait servir à mettre fin à l’histoire de dépendance économique du pays envers celle-ci en redistribuant ses profits vers le développement et la diversification économique. Pourtant, après 15 ans au pouvoir, le régime chaviste n’a rien changé à cette dynamique, l’exploration et l’exploitation du pétrole n’a fait qu’augmenter et, selon leur volonté, continuera ainsi pour des années à venir. En 2005, le gouvernement bolivarien lançait un programme central à sa stratégie économique, le Plan Siembra Petrolera [Semence pétrolière] dont Chávez disait dans une entrevue parue dans The Progressive en 2006 :
« nous mettons en œuvre un programme stratégique [...] utilisant la richesse pétrolière afin que le Venezuela puisse devenir un pays agricole, une destination touristique, un pays industrialisé avec une économie diversifiée. Nous investissons des milliards de dollars dans les infrastructures: la production d’électricité utilisant l’énergie thermique, un grand chemin de fer, des routes, des autoroutes, des villes nouvelles, de nouvelles universités, de nouvelles écoles, récupérant des terres, construisant des tracteurs, et facilitant aux agriculteurs des prêts. Un jour, nous n’aurons pas de pétrole, mais ce sera au vingt-deuxième siècle. Venezuela a du pétrole pour encore 200 ans. »
La première phase du Plan Siembra Petrolera est justement le développement d’infrastructures et l’augmentation de la production pétrolière. Sur son site internet, PDVSA annonce les couleurs du Plan :
-Être un levier pour le développement socio-économique national dans le but de construire un nouveau modèle de développement économique équitable, équilibré et durable pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
-Pour améliorer l’intégration énergétique de l’Amérique latine et des Caraïbes.
-Servir comme instrument géopolitique pour promouvoir la création d’un système multipolaire qui profite aux pays en développement, et en même temps, constituant un contrepoids au système unipolaire actuel.
-Défendre la cohésion et l’articulation de la politique pétrolière de l’OPEP.
Et pour ce faire, ils donnent une liste d’une vingtaine de projets d’exploitation et d’infrastructures pétrolières.
Sur la chaîne nationale VTV le 21 août 2012, Chávez félicitait sa « révolution » d’avoir sauvé les plus grandes réserves mondiales de pétrole des mains des compagnies privées. Il faisait référence à la zone pétrolifère Orinoco qui serait en fait la deuxième plus grande réserve de pétrole après celles d’Athabasca (les sables bitumineux) en Alberta. Ce pétrole, qui est lui aussi du sable bitumineux, est au centre des projets de l’État bolivarien. Dans la même intervention sur VTV, Chávez affirmait: « En seulement cinq ans, la production de pétrole a augmenté de 900 000 à 1 200 000 barils par jour et cette année, nous arriverons à 1 350 000 barils par jour avant décembre [...] nous allons augmenter de 150 mille barils dans le cadre du projet de réserve Magna, le projet Orinoco.» Il annonça ensuite un objectif de six millions de barils par jour dès 2019. C’est grâce aux sables bitumineux de l’Orinoco qu’on accomplira ces objectifs.
Les conséquences de cette exploitation sont évidentes, elles sont les mêmes depuis toujours. Contamination, destruction de l’environnement et du mode de vie des populations locales et leur déplacement vers les villes, etc. Les populations, dont plusieurs cultures autochtones basées sur la pêche, ont vu leurs milieux de vie et leurs cours d’eau contaminés par les déversements réguliers de pétrole ainsi que par le processus chimique et l’infrastructure nécessaire à son exploitation. Depuis l’arrivée de l’industrie pétrolière au Vénézuela au début du siècle dernier, ils ont souffert des expropriations avec toujours les mêmes promesses de prospérité.
La réponse à ces promesses est assez claire quand, dans le documentaire Nuestro petrólio y otros cuentos, une femme répond à un fonctionnaire qui tente de lui faire comprendre les bienfaits de l’exploitation pétrolière qui servira à apporter des écoles à sa région, que les écoles ne serviront à rien puisque depuis l’arrivée de cette industrie dans sa région il y a une augmentation exponentielle de fausses-couche et morts-né. Un autre cas intéressant de mentionner est celui des Yukpas, un peuple qui a généralement été sympathique envers le régime bolivarien, mais qui revendique la terre et l’autodétermination.
En juillet 2010, un groupe d’autochtones Yukpa manifestaient devant la Cour suprême, leurs exigences étaient l’application de la constitution bolivarienne de 1999 établissant leur droit à l’autodétermination sur leurs terres. Deux groupes de défense des « droits », Sociedad Homo et Natura et Provea, qui accompagnèrent les Yukpas avec une campagne de sensibilisation sur le web et des tracts dans la rue ainsi qu’en annonçant la tenue de la manifestation et en rapportant son déroulement, font aujourd’hui face à un procès. Ils sont accusés d’avoir déplacé, utilisé et manipulé ce peuple autochtone à leurs fins.
C’est sur fond de ce procès que le leader yukpa Sabino Romero se fait assassiner, le 3 mars 2013. Il est le 6e Yukpa à avoir été assassiné sous le régime bolivarien. Son père s’était fait assassiné en 2009. Sabino s’est fait connaître du régime depuis qu’il s’opposa aux projets de développement sur les terres yukpas.
Le 13 novembre 2003, Chávez annonça une grande augmentation de l’exploitation du charbon jusqu’à 36 millions de tonnes annuelles dans les territoires habités par différents peuples autochtones, Sabino Romero est un de ceux qui ont mobilisé leurs communautés pour refuser l’expansion de la mégaminerie dans leur région. La lutte de Sabino avait pour objectif la démarcation et l’autonomie des territoires autochtones. Il se réalisa plusieurs mobilisations, tant dans l’État de Zulia comme à Caracas, utilisant différentes méthodes de lutte, comme l’action directe et l’occupation de terres autochtones aux mains des éleveurs de bétail.
Le niveau d’autonomie de Sabino Romero dans sa lutte motiva une stratégie partagée entre les pouvoirs régionaux et nationaux intéressés à continuer l’exploitation des terres autochtones. En 2009, deux communautés, l’une d’elles avec Sabino, occupèrent une ferme à Chaktapa, Zulia, pour dénoncer le blocage du processus de démarcation. L’exécutif national mis en place une stratégie pour diviser les occupants, et suite à des événements obscurs, trois indigènes furent assassinés. Cela fut l’excuse pour reprendre militairement la ferme et criminaliser Sabino Romero, qui passa 18 mois en prison accusé d’homicide… Pendant ce temps, les éleveurs de bétail l’accusaient d’être un voleur et les médias de la région intensifiaient leur guerre sale contre la lutte autochtone, avec l’appui de l’État. Et pendant que les bolivariens faisait distraction sur la lutte autochtone avec délations, excuses et spectacles médiatiques, d’autres secteurs chavistes isolaient Sabino Romero et les Yukpas de la solidarité d’autres mouvements sociaux et révolutionnaires indépendants du contrôle de l’État. La stratégie, depuis tous ces fronts, était réalisée par tous et pour chacun des bénéficiaires de l’économie primaire exportatrice de minéraux et d’énergie dans le pays.
On voit bien que toutes les postures prises par l’État bolivarien sur les tribunes internationales, comme l’anticapitalisme, l’écologisme, l’indigénisme, ne vont pas plus loin que la rhétorique. Après que les bolivariens auront défait « les capitalistes qui détruisent la planète » on aura à se débarrasser de ses éco-socialistes bolivariens qui vont l’achever pour de bon en chantant l’Internationale.
Je pourrais parler aussi de la criminalisation des syndicalistes qui s’affrontent à l’État, comme le syndicaliste Ruben Gonzales en procès depuis 2009, accusé de rassemblement illégal, incitation publique à commettre des crimes, violation de la liberté de travailler et violation d’une zone de sécurité, pour une grève de deux semaines de travailleurs de l’industrie métallurgique en 2009 à cause du non-respect de la convention collective. Je pourrais parler du grand complexe pénitentiaire vénézuelien, et ses vagues régulières d’émeutes étouffées dans le sang, du fait que, selon Observatorio Venezolano de las Prisiones (l’Observatoire vénézuelien des prisons), 70% des décès au Vénézuela en 2009 ont eu lieu dans les prisons. Mais de toute façon j’me dis que c’est le genre de choses auxquelles on s’attend, déjà inscrites comme partie intégrale de la tradition des États marxistes.
Équateur
la révolution citoyenne dévore la forêt amazonienne
En 2006, suite à des années de crises sociales en Équateur, une large coalition de gauche gagnait les élections, portant le candidat bolivarien Rafael Correa au pouvoir sur une plateforme de réformes sociales nommée « la Revolución Ciudadana » [la Révolution Citoyenne] sous la bannière du socialisme du 21e siècle. Très vite, ils ont fait adopter une nouvelle constitution, où des mesures sociales, écologiques et culturelles étaient mises de l’avant, comme des régimes de redevance pour financer des programmes sociaux, des droits pour la nature, la consultation des peuples autochtones pour les projets touchant leurs communautés… bref, une constitution enlignée sur les politiques vénézuéliennes et boliviennes.
La réalité d’un modèle où les mesures sociales sont financées par des politiques d’industrialisation extractivistes rattrapa assez rapidement la lune de miel entre le nouveau gouvernement « Citoyen » et plusieurs des mêmes bases ayant permis le contexte qui le porta au pouvoir, notamment les peuples autochtones.
En 2009, une loi était adoptée permettant l’octroi de concessions minières de cuivre, d’or et d’argent dans le plateau amazonien tout en limitant le pouvoir de décision des communautés touchées par les projets. Des mobilisations appelées par des groupes écologistes et par la CONFENAIE, section amazonienne de la CONAIE (la Confédération des nations autochtones d’Équateur), ont mené à des manifestations, des blocages et de dures confrontations avec les forces de l’ordre, résultant en un mort et plusieurs blessés chez les manifestants.
Pendant que le gouvernement tentait de négocier avec la CONAIE, le président Correa déclara devant les médias que sa politique d’exploitation minière responsable, en générant des redevances qui seraient réinvesties dans les programmes sociaux, mettrait fin à la dépendance minière… Il traita ensuite les opposants à l’expansion minière d’« infantiles » et de « menteurs » « se faisant manipuler par la droite pour déstabiliser le pays ». La criminalisation de ce mouvement de protestation par des accusations de sabotage et de terrorisme s’ensuivi. Les mêmes dynamiques présentes avant la « Révolution Citoyenne » se répétaient et allaient être la norme pour les années à venir.
En mars 2012, une autre vague de mobilisations est survenue, protagonisée par la CONAIE et d’autres groupes, dont des groupes d’étudiants et de professeurs. La CONAIE dénonçait plusieurs politiques du gouvernement comme une série de concessions minières, octroyées entre autres à des filières canadiennes et chinoises. Les étudiants et professeurs se mobilisaient contre une série de mesures gouvernementales dont la Loi sur l’Éducation Supérieure, imposée par l’assemblée nationale en 2010, dénonçant son caractère professionnaliste et élitiste basé sur la compétitivité au lieu du développement de la pensée critique, ainsi que la perte d’autonomie des universités publiques que cette loi engendrait. La réaction de Correa devant cette crise sociale, à part la répression policière habituelle, fut d’appeler à des contre-manifestations pour « résister pacifiquement et remplir la place de l’indépendance [où les manifestations contre les politiques du gouvernement étaient appelées à se rendre] pour leur dire que nous sommes ici et que rien ni personne n’arrêtera notre révolution! ».
Quelques mois plus tard, en novembre, la politique extractiviste du gouvernement de Correa mît encore de l’avant les tensions existantes alors qu’ouvrait ce qui s’appelle la « XI Ronda Petrolera », une période d’appels d’offre pour l’exploitation de gisements pétroliers dans la zone amazonienne de l’Équateur, divisée en 13 « bloques » faisant plus de 30 000 km2. À Quito, des manifestations ont eu lieu et des affrontements sont survenus avec la police et des gardes privés lors d’une rencontre entre le gouvernement et des entrepreneurs de grandes pétrolières dans un hôtel de luxe le 28 novembre 2012. L’Équateur, et surtout la zone amazonienne, a connu l’horreur de l’exploitation du pétrole par le passé, par la longue présence notamment de Chervon (anciennement Texaco), causant des désastres écologiques, la déforestation et la contamination de plusieurs cours d’eau, amenant la pauvreté et la destruction des modes de vie, de nombreuses maladies et cancers et la mort aux communautés humaines et non-humaines qui y vivent.
Ce n’est pas surprenant si des peuples tels que les Shuar, Achuar, Andoa, Waorani, Shiwiar, Sáparas et Kichwas s’opposent catégoriquement à ce projet et demandent l’annulation immédiate des appels d’offre, puisqu’ils souffrent encore aujourd’hui de l’exploitation du passé. Ils ont aussi dénoncé les irrégularités dans le processus de consultation prévu par la nouvelle constitution. À travers la CONFENAIE, ils dénoncent qu’en octobre, le sous-secrétaire aux hydrocarbures est entré sans permission dans certaines communautés pour négocier avec des groupes restreints de personnes, sans que cela se fasse dans leurs langues et passant outre leurs structures décisionnelles.
C’est ce qui est arrivé chez les Kichwas, qui vivent à un endroit où l’on retrouve l’une des biodiversités les plus riches du monde. Le chef de la petite communauté fut soudoyé sans consulter son peuple comme prévu, ce qui causa des disputes internes. Des Kichwas affirment qu’ils ont réussi à surmonter cette épreuve, parlant maintenant d’une seule voix, et qu’ils ne se font pas d’illusion avec les mesures légales qu’ils entreprennent déjà, qu’ils se préparent à s’affronter à l’exploitation du pétrole dans leur territoire « jusqu’à la mort s’il le faut. »
La réaction de Correa face à la situation fut encore égale à elle-même. « Assez de cet infantilisme du ”non au pétrole”, du ”non aux mines”! » déclara-t-il aux médias après les manifestations du 28 novembre, se faisant l’avocat de « l’exploitation responsable » qui, selon son gouvernement, bénéficierait aux communautés amazoniennes. Pour ce qui en est du processus de consultation, il réitéra que la consultation prévue ne signifiait pas qu’un consentement était nécessaire, ajoutant; « Eux, ils prétendent que la consultation veut dire qu’ils doivent nous donner la permission. Gagnez donc les élections si vous voulez donner des permissions ». Voilà ce qui en est de sa fameuse « révolution citoyenne ».
Récemment, des dignitaires équatoriens se trouvaient en Chine au Hilton Beijing Wangfujing où ils rencontraient une douzaine d’entrepreneurs et investisseurs chinois du secteur pétrolier.
Tout ça se passe pendant que le gouvernement équatorien se louange lui-même pour son « programme innovateur » de non-exploitation du pétrole qui se trouve dans le sous-sol de la zone Ishpingo-Tambococha-Tiputini (ITT) du Parc national Yasuní. En gros, en échange de ne pas exploiter ce pétrole, l’État a créé un fond auquel il exige des contributions internationales pour 50% de la valeur des réserves, soit 3,6 milliards de dollars sur 13 ans et qui, selon son dire, servira à la lutte contre les changements climatiques*. La chef du comité négociateur du projet, Ivonee Baki, déclarait même :
« L’Équateur ne veut pas être dépendant du pétrole, et ceci est la manière de réduire cette dépendance. Les pays pétrolifères sont maudits. Les pays développés dépendent tant du pétrole qu’ils ne développent rien d’autre. Cela incite la corruption et ce sont les pauvres qui en payent le prix. Traditionnellement l’unique bénéfice tombe entre les mains des élites. »
Je me demande ce que le grand frère vénézuelien penserait de ça?
Rafael Correa a déclaré après sa récente réélection : « Pourquoi un pays riche se priverait-il des ressources qui vont lui permettre rapidement de sortir de la pauvreté ? » Rien de surprenant venant d’un économiste comme Correa.
Au-delà de la contradiction, la belle rhétorique est vite rattrapée par la pratique et dévoile une hypocrisie manipulatrice crasse au service de l’industrie, du développement, du marché et de l’économie. Y’a pas grand’chose de « révolutionnaire » là.
* Ce programme à récemment été abandonné
Bolivie
La Pachamama reçoit des droits concédés par son éventreur
La Bolivie est un autre bon exemple de l’hypocrisie bolivarienne et de ceux qui s’en réclament, n’hésitant pas à vanter les progrès faits dans ce pays, un de leurs exemples de choix. Un pays qui a élu un gouvernement socialiste et son premier président autochtone.
Malgré la rhétorique du gouvernement bolivien et son supposé compromis envers la Pachamama (Mère-Terre) qu’il prétend vouloir protéger avec des lois au niveau national et par le droit international, dans les faits c’est plutôt une expansion de l’infrastructure et des activités minières et gazières – piliers de l’économie bolivienne – que nous percevons.
Le gouvernement socialiste de Morales n’a en rien diminué l’exploitation minière sur le territoire qu’il domine, la Bolivie étant un pays très minier depuis sa colonisation. Au contraire, il en fait la promotion. Par exemple, en invitant la Chine à participer à l’exploitation de ses grandes réserves de lithium, présentant le projet comme faisant partie de la lutte contre les changements climatiques, puisque ce métal conducteur hautement toxique – la voie de l’énergie du futur selon le gouvernement bolivien – se retrouve dans les piles de voitures électriques, etc. (j’imagine que les projets hydroélectriques en cours en partenariat avec le Brésil produiront leur « énergie verte »). La croissance des profits miniers a battu des records au cours des dernières années en Bolivie et le gouvernement est prêt à tuer pour les défendre. Je pense à la militarisation du conflit entre une filière de la minière canadienne South American Silver et la communauté de Mallku Khota qui escalada jusqu’en juillet 2012 quand le gouvernement ordonna l’envoi de 370 effectifs policiers pendant les négociations avec des paysans qui avaient pris en otage cinq travailleurs de la mine. L’affrontement laissa un paysan mort et plusieurs blessés.
Un autre secteur qui a battu des records d’expansion en Bolivie est celui des hydrocarbures. La Bolivie est devenue, au cours des dernières années, un des plus grands exportateurs de gaz en Amérique du Sud, suite à des investissements majeurs dans l’exploration, l’exploitation, la production et l’infrastructure gazière. Plusieurs pipelines vers les pays voisins ont déjà été inaugurés par le gouvernement de Morales et plusieurs autres sont en cours, comme par exemple ceux vers le Paraguay et l’Uruguay.
Depuis 2009, le gouvernement fait face à des mobilisations contre un projet de méga-autoroute qui traverserait le pays, dont une réserve naturelle, le TIPNIS (Territorio Indígena Parque Nacional Isiboro Sécure). La construction de l’autoroute, qui est déjà commencée, est financée à 80% par du capital brésilien, menée par une entreprise brésilienne et veut favoriser les importations brésiliennes, comme le soja, tout en ouvrant l’accès à la zone pour de futurs projets. Les autochtones qui y habitent, comme les peuples Chimane, Yurucaré et Moxos refusent que l’on détruise leur milieu de vie et se sont battus contre les colonisateurs espagnols, les dictatures militaires, les pantins néolibéraux et maintenant contre un socialiste autochtone. Ceux-ci sont en continuelle mobilisation contre le projet malgré la constante répression policière qui fut particulièrement intense en septembre et octobre 2011 avec des centaines d’arrestations et de blessés durant la 8e Marche autochtone en défense du TIPNIS qui dura 130 jours, couvrant 1200 km de Trinidad jusqu’à la Paz, en plus des tentatives du gouvernement de mobiliser ses propres bases pour affronter les manifestants. Morales déclara alors que ceux qui se mobilisaient contre l’autoroute conspiraient pour déstabiliser le pays, que les organisateurs de la marche étaient des agents au service d’intérêts impérialistes étatsuniens.
Le 29 mai 2012, des raids furent menés à plusieurs endroits. Treize personnes, liées surtout au milieu anarchiste, furent arrêtées. Ce fut présenté par la police comme une opération antiterroriste en relation à une vague d’actions directes survenues à la suite de la répression contre les mobilisations du TIPNIS, généralement contre des banques et institutions gouvernementales, certaines revendiquées en solidarité avec la lutte contre le TIPNIS, d’autres pour la libération animale, contre des projets d’infrastructure, contre le système pénitencier international et en solidarité avec les prisonniers anarchistes en Grèce et au Chili. Deux personnes demeurent toujours emprisonnées*: Henry Zegarrundo et Krudo, ils sont accusés de terrorisme.
En cette année du quinoa, annoncée par Evo Morales dans son rôle de nouveau mandataire spécial à la FAO pour « honoré la sagesse des peuples originaux », il m’apparaît opportun de mentionner les problèmes causés par la nouvelle popularité de cette plante miracle, que Morales n’a aucune honte à ignorer, lui qui en fait la promotion sur les tribunes internationales. La zone de culture se limitant en très grande partie à la zone andine de la Bolivie, du Pérou et de l’Équateur, c’est sur l’environnement et la population locale que tombe le poids de la demande internationale et ses bouleversements.
S’il est vrai que les entrepreneurs nationaux de cette plante nutritive ont pu rapidement s’enrichir au cours des dernières années dû à sa demande et sa valeur sur les marchés internationaux, les conséquences de cette même demande ont rendu cette nourriture, qui fait partie de l’alimentation de base des peuples Aymaras qui le cultive depuis des milliers d’années, de plus en plus inaccessible justement par la hausse des prix internes causée par son exportation massive (95% de la production de quinoa est destinée à l’exportation).
Ces gens qui le cultivent ont commencé à changer leurs habitudes alimentaires, délaissant le quinoa pour, entre autre, le riz (importé), qui vaut jusqu’à cinq fois moins cher. C’est aussi à cause de l’expansion des terres utilisées pour la monoculture de quinoa remplaçant de plus en plus les cultures de subsistance. Cette même dynamique cause aussi l’appauvrissement du sol. Les petits élevages, comme celui du lama, qui favorisent la fertilité des terres, étant de plus en plus délaissés.
Devant ces problèmes, l’État bolivien répond toujours de la même façon : industrialisation et valeur ajoutée sont la clé. On voit bien encore une fois que ses intentions écologiques n’ont aucune substance quand structurellement c’est un modèle d’importation/exportation qui est impulsé par les politiques de l’État bolivarien pour faire bénéficier le capital national.
Cette situation parle beaucoup des politiques agraires et de la fameuse réforme agraire dont les sympathisants de Morales aiment bien vanter les mérites. En favorisant la petite production tout en l’orientant fortement vers l’exportation, il s’agit en fait plutôt d’une continuation des grandes lignes des politiques néolibérales des précédents gouvernements, vers le renforcement de la grande industrie agroalimentaire du pays.
C’est au nom de la stabilité et la croissance économique, d’un financement de programmes sociaux – éducation, santé, travail, accessibilité au service de base, etc. – et de la souveraineté territoriale que l’État bolivien justifie une industrialisation intensive sur le dos d’une dégradation accélérée des milieux de vies humains et non-humains.
Au-delà de sa rhétorique indigéniste et son instrumentalisation de la pachamama pour ses campagnes d’images, il est clair que l’État bolivien et ses aspirations de développement sont en confrontation avec les populations et le territoire dont il se proclame le porte- étendard et défenseur.
*Henry Zegarrundo est maintenant en garde-à-vue
La gauche et les bolivariens
Ce n’est pas si surprenant que la gauche au niveau international s’inspire et reprend le discours bolivarien. Ils s’y sentent chez eux, ces hordes de bien-pensants qui, durant les deux derniers siècles, se sont affairés à récupérer et émousser toutes les luttes sur leur passage pour s’en faire un t-shirt de Che Guevara.
Comme le Chili sous le régime de Pinochet fut le laboratoire du néolibéralisme, je dirais que les États bolivariens sont le laboratoire des aspirations gauchistes actuelles, l’entonnoir de ses délires citoyenistes aliénants, de consultation et de redistribution, comme si on leur devait leur juste part du butin des siècles de terres défigurées et de vies volées. S’enveloppant de beau discours… récupérés, de livres bien écrits… récupérés… et des personnalités; un ex-militaire qui se prend pour Castro, un autochtone un peu marxiste, un jeune économiste moderne et fringuant… qui montreront la voie vers… l’Alternative?! Cette chose prête-à-porter pour tous, reproduite par les mêmes vieilles structures et qui sert à les maintenir, qui s’inscrit dans la pathologie du moins pire et du nivellement, trahissant une obsession de contrôle et de domination.
Ça reste quand même étourdissant de voir à quelle vitesse la gauche est capable de dénoncer l’industrie pétrolière et ses conséquences pour ensuite être en admiration devant un État qui utilise la même industrie et redistribue une partie de ses profits vers des programmes sociaux. Suivant la ligne de pensée de ces acrobates intellectuels, l’exploitation des sables bitumineux en Alberta serait tellement mieux si seulement elle aidait à financer des programmes sociaux, si l’État apportait de bonnes écoles et cliniques aux communautés qui ont vu leur milieu de vie détruit et contaminé, leurs méthodes liées au territoire devenues impraticables, leurs identités nivelées par un statut juridique.
Ces mêmes se réclament de la solidarité avec les autochtones quand l’opportunité se présente. On les voit dans des manifs Idle No More, ils parlent de colonialisme et du respect des Premières Nations dans leurs articles et leurs déclarations, mais ces mêmes Premières Nations se retrouvent vite relayées au second plan quand celles-ci ont le visage sous la botte de leurs bienfaiteurs progressistes préférés.
Demandez aux autochtones du Vénézuela, ceux entourés de puits de pétrole, si le socialisme du 21e siècle a rendu leur vie meilleure. Demandez aux autochtones du Vénézuela, de l’Équateur et de la Bolivie si c’est mieux maintenant que leurs terres sont détruites par des oligarques miniers chinois au lieu d’intérêts impérialistes yankees.
Maintenant que l’État canadien en est à vendre des terres qu’il a usurpées à des intérêts miniers chinois, nous n’avons qu’à élire une véritable alternative socialiste qui amassera des redevances en faveur des programmes sociaux ! Les redevances du Plan Nord pourront alors être utilisées pour financer une éducation gratuite, tel que proposé par un porte-parole de la CLASSE au printemps dernier pendant la grève étudiante.
D’ailleurs nous pouvons voir comment l’éducation gratuite a bénéficié à ceux qui y ont déjà accès au sein du territoire dominé par l’État canadien, les déracinant, colonisant leurs esprits et détruisant leurs cultures et leurs identités.
Nous seront des Citoyens, éduqués et consultés et nous saccagerons de manière responsable les montagnes et les rivières que nous avons volées…
J’entends déjà leur « sinon quoi alors? »…
Je sais pas, mais notre imagination étouffe et s’atrophie, manque d’air et d’espace et ce n’est sûrement pas le développement qui nous l’apportera, mais plutôt le démantèlement…