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Analyse des mécanismes de criminalisation

Le Procès d'Iban Apaolaza Sancho

by Comité Liberté pour Iban

 Analyse des mécanismes de criminalisation

Les 17 et 18 octobre dernier, deux membres du Comité Liberté pour Iban étaient présentes en tant qu'observatrices au procès d'Iban Apaolaza Sancho, Gorka Palacios, Jon Olarra Guridi et Oier Goitia. à Madrid, devant l'Audiencia nacional, une cour spéciale pour les cas de «terrorisme».

Au-delà des éléments spécifiques aux méthodes de l'Audiencia nacional, le contexte plus global de criminalisation et de répression des mouvements sociaux transparaît en filigrane de ce procès.

La criminalisation est essentiellement le processus qui fait passer un acte, un groupe social ou un mouvement politique de la légalité à l'illégalité. Ce processus est mis en place par divers mécanismes, tant au niveau du cadre législatif qui régit la définition de l'illégalité, que sur le plan de l'appareil de contrôle et de répression mis en place par l'État, et sur la représentation de ces mécanismes dans la sphère publique, notamment les médias. Ce dernier élément est particulièrement pertinent dans un contexte où les autorités ont recours à un langage hautement chargé politiquement, usant de termes comme "terrorisme" ou "sécurité nationale" sans pour autant révéler le message politique inhérent à cette terminologie, notamment en ce qui a trait à définir ce qui constitue, et dans quelle mesure, une "menace" pour l'État.

Mécanismes de criminalisation:

Le lien établi entre Iban Apaolaza Sancho et l’ETA n’est pas fortuit. Il existe une longue histoire de répression des mouvements Basques et plus récemment de pans entiers de la société civile Basque par les autorités espagnoles sur la base d’accusations d’être membres ou sympathisants de l’ETA.

Diffamation

L'utilisation d'un langage centré autour du "terrorisme" dans la sphère médiatique vise essentiellement à marginaliser le mouvement d'auto-détermination Basque et à détruire la base de soutien sociale de ce mouvement.

En effet, le recours au concept de terrorisme dans le domaine législatif et public a essentiellement pour objectif la manipulation de l'opinion et la marginalisation des mouvements visés, voire d'idées politiques, puisque le code criminel actuellement en place suffit à condamner des actes armés qui atteindraient l'intégrité physique d'une personne ou d'une propriété. L'étiquette de "terroriste" sert également à dépolitiser une action de résistance en la réduisant à une tactique sans motivation politique ou sociale sous-jacente. Elle sert aussi à amalgamer les mouvements sociaux de la société civile et les organisations qui utilisent les armes pour lutter.

Ainsi, dans le contexte Basque, des avocats, des journalistes et des membres d'organisations de défense des droits humains ont été accusés de terrorisme.

En décembre 2007, 47 individus accusés d’être liés à L’ETA ont été condamnés à un total de 520 années de prison – dans le fameux procès de 18/98. Ce procès a clairement démontré la manière dont l’État espagnol s’attaque à tous les secteurs de la société civile Basque dans son effort d’éradication de toute base de soutien pour le mouvement d'indépendance Basque. Le procès 18/98 a mené à la criminalisation de journalistes, d’avocats, de mouvements de jeunes, d’enseignants, de membres d’organisations pour les droits humains, d’ONGs et de groupes sociaux, ainsi qu'à la fermeture de plusieurs médias dans le cadre d’une vague d’arrestations massives de groupes et d’individus tous ciblés avec l’accusation de soutenir l’ETA.

Cadre législatif

Lorsque le cadre légal en vigueur ne permet pas de criminaliser un mouvement jugé indésirable, les lois sont adaptées pour rendre illégales des activités qui auparavant l'étaient totalement.

Ainsi, en Espagne, la Ley de Partidos (Loi des partis politiques) a rendu illégaux tous les parties politiques qui ne condamnent pas a priori toute « violence », ce qui a engendré l'illégalisation de nombreux partis politiques, notamment des partis au fort appui populaire tels Batasuna. Ainsi Batasuna se trouve illégal en Espagne et légal en France. La cour Européenne des Droits Humains a d'ailleurs accepté d’entendre la contestation que fait le parti Batasuna de la Ley de Partidos.

Plus récemment, une directive espagnole a interdit d'afficher la photo d'une personne emprisonnée pour des accusations liées au terrorisme. Ainsi, les groupes défendant les prisonniers politiques se voient accusés d'apologie du terrorisme s'ils publient les photos de ces derniers.

Surveillance accrue et mécanismes de contrôle:

Le fait qu'une surveillance policière importante des militantEs basques soit acceptée comme fait empirique dans le cadre de ce procès est en soi inquiétant. En effet, la majeure partie des témoins appelés à témoigner durant les deux jours de procès étaient des agents de police qui rapportaient, sous couvert de l'anonymat, les détails de comptes-rendus rédigés à la suite d'écoutes et de filatures de militantEs Basques menées à Madrid au début des années 2000. Leurs observations n'incluent pas de constat de flagrant délit de crime mais plutôt une série d'associations entre différents individus leur permettant d'insinuer l'appartenance de ses individus à une organisation connue pour commettre des crimes.

La justification et la légalité de ces formes intrusives de surveillance de l'État espagnol n'ont à aucun moment été remises en question durant le procès, et les informations obtenues par l'entremise de cette surveillance est utilisée pour incriminer les accusés. La boucle d'auto-justification est bouclée lorsque le processus de marginalisation et d'illégalisation des mouvements sociaux Basques sert à justifier ces politiques de surveillance, et vice-versa.

De plus, les services policiers font usage de tactiques de harcèlement et d'intimidation envers les organisations de la société civile Basque, notamment les journaux, les ONGs qui soutiennent les prisonniers politiques et les groupes sociaux, dans le but de fragmenter les mouvements de solidarité au pays Basque.

L’utilisation de la rhétorique anti-terroriste afin de réprimer les minorités et les mouvements politiques est amèrement prévisible. Qu’on se rappelle l’internement des canadiens d’origine japonaise pendant la deuxième guerre mondiale, la campagne de criminalisation des communautés arabes et musulmanes depuis le 11 Septembre 2001, notamment dans le cas des infâmes certificats de sécurité et des extraditions vers la torture, le qualificatif de « terroriste » a créé une facilité redoutable et incontestée avec laquelle les états comme l’Espagne, mais également le Canada, justifient une guerre lancée ici comme à l’étranger contre certains groupes perçus comme une menace au statu quo, l’oppression galopante des minorités et les efforts d'éradication des mouvements sociaux.

 

Plus d'information: www.commissionpopulaire.org/fr/sancho/

 


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