La Coalition contre la répression et les abus policiers s’élève contre la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de ne porter aucune accusation envers les quatre agents du Service de police de la ville de Montréal impliqués dans l’intervention qui a couté la vie à Mario Hamel, 40 ans, et à Patrick Limoges, 36 ans, le 7 juin 2011.
Rappelons que les policiers ont fait feu sur M. Hamel alors que celui-ci tenait un couteau dans ses mains, sur la rue Saint-Denis, à l’angle de la petite rue Christin. Monsieur Limoges, qui n’était pas impliqué dans l’intervention policière, a été atteint d’une balle à la tête, alors qu’il se dirigeait vers son lieu de travail, l’hôpital Saint-Luc.
Transparence introuvable
Curieusement, la décision du DPCP est intervenue le 17 mai dernier, alors que toute l’attention était dirigée vers la loi spéciale que s’apprêtait à présenter le gouvernement libéral de Jean Charest pour venir à bout de la grève générale étudiante qui agite le Québec depuis trois mois…
La décision du DPCP a été annoncée dans un communiqué laconique de trois phrases. Aucun motif n’a été fourni pour expliquer la décision rendue par le DPCP relativement à cette intervention policière doublement mortelle qui avait bouleversé de nombreux citoyens l’an dernier.
Or, lors des consultations de la Commission des institutions de l’Assemblée nationale sur le projet de loi n° 46 (Loi concernant les enquêtes policières indépendantes), plusieurs intervenants, incluant des membres de corps policiers, avaient fait valoir que le DPCP devrait donner davantage d’informations au public lorsqu’il prend la décision de ne pas porter d’accusation contre des policiers dans des affaires de mort d’homme.
« On soutient cette approche-là, avait notamment déclaré le directeur du SPVM, Marc Parent. Je pense que la société d’aujourd'hui s'attend à plus aussi en termes d’informations. »
Près d’un an après cette tragique affaire, les parents, frères, sœurs et enfants de MM. Hamel et Limoges ignorent donc toujours les circonstances précises dans lesquelles un membre de leur famille respective a trouvé la mort
Cette situation est totalement acceptable.
Non seulement les proches des deux défunts ont-ils le droit de savoir précisément ce qui s’est passé, à titre de personnes les plus concernées, mais aussi l’ensemble de la collectivité.
Combien de balles perdues ?
L’intervention policière du 7 juin 2011 soulève en effet plusieurs questions d’intérêt public.
Dans un premier temps, il y a la problématique des balles perdues.
Selon des informations qui ont circulées dans les médias, mais qui n’ont toujours pas été confirmées de source officielle, M. Limoges a été atteint d’une balle perdue tirée par un agent du SPVM.
En apprenant cela, bien des citoyens se sont dit que ce qui est arrivé à M. Limoges aurait pu leur arriver à eux aussi, ou à un de leurs proches.
Un militant de la CRAP a essayé d’en savoir plus sur la problématique des balles perdues tirées par des policiers montréalais en adressant une demande d’accès à l’information en bonne et due forme au SPVM.
La demande d’accès à l’information se fondait sur les chiffres publiés dans les bilans annuels du SPVM, lesquels sont disponibles sur internet, relativement au nombre de coups de feu tirés chaque année par les membres de ce corps policier.
Compte tenu que le SPVM connait le nombre de balles tirées par ses agents, incluant le nombre de « coups de feu involontaires », nous étions en droit de penser que le corps policier serait en mesure de nous indiquer combien de balles tirées par ses agents ont raté leur cible ou ricoché sur un corps ou sur un objet inanimé, et combien de ces balles perdues ou ayant ricochées ont atteint une personne.
Or, dans une lettre datée du 29 novembre 2011, Me Alain Cardinal, responsable de l’accès à l’information au SPVM, a répondu par la négative à la demande.
« Notez que le Service de police de la ville de Montréal ne compile aucune autre donnée en lien avec votre demande d’accès, et plus particulièrement des données traitant de la problématique des balles perdues tirées lors d’interventions policières », écrit Me Cardinal.
Ainsi, le SPVM se dit incapable de dire combien de balles perdues sont tirées par ses propres policiers !
Si le SPVM traite la problématique des balles perdues avec une pareille nonchalance, les citoyens n’ont alors aucune raison de croire que le corps policier montréalais se soucie réellement de la sécurité du public.
De toute évidence, les citoyens qui marchent dans la rue pour se rendre à leur travail ne sont malheureusement pas à l’abri d’une autre balle perdue comme celle qui a coutée la vie à Patrick Limoges.
Faut-il tirer ?
À cela s’ajoute la problématique de l’usage questionnable de l’arme à feu par les agents du SPVM.
La procédure interne du SPVM en matière d’usage d’arme à feu (Pr-229.1) prévoit que le policier « ne doit faire feu, qu’en dernier recours, lorsqu’il a des raisons de croire que sa vie ou celle d’une autre personne est en danger, en tenant compte de la présence possible de tierces personnes et du milieu environnant. »
Cette procédure a-t-elle été respectée lors de l’intervention policière du 7 juin 2011 ?
Les policiers ont-ils tenu compte « de la présence possible de tierces personnes et du milieu environnant » avant d’ouvrir le feu sur Mario Hamel en pleine rue Saint-Denis ?
Et surtout, les policiers ont-ils fait feu seulement « qu’en dernier recours », c’est-à-dire après avoir épuisé tous les autres moyens à leur disposition pour tenter de désarmer Mario Hamel ?
Ces questions sont d’autant plus importantes que deux autres citoyens ont perdu la vie à Montréal, depuis le début de l’année, au cours d’interventions policières lors desquelles les agents du SPVM étaient confrontés, à chaque coup, à un individu équipé d’une arme blanche.
Il s’agit de Farshad Mohammadi, abattu par la police le 6 janvier 2012, à la station de métro Bonaventure, et de Jean-François Nadreau, tombé sous les balles de la police le 16 février 2012, dans un immeuble du quartier d’Hochelaga-Maisonneuve.
Ces décès à répétition soulèvent naturellement des questions sur la formation des policiers.
La CRAP croit que les informations qui sont mises dans la tête des policiers, de même que les armes qui sont mises dans les mains de ceux-ci, posent problèmes.
D’une part, les policiers du Québec, mais aussi ceux de l’ensemble de l’Amérique du nord, sont conditionnés mentalement à penser qu’un individu « en forme, motivé » et armé d’un couteau n’a besoin que de 1,5 seconde pour franchir une distance de 21 pieds. On dit également à ces policiers que le policier moyen prend 1,5 seconde pour dégainer son arme, pointer (sans viser) et tirer un coup de feu.
Il s’agit-là de la fameuse « règle des 21 pieds » inventée par Dennis Tueller, un policier de Salt Lake city, dans les années ’80.
Le problème est que les individus armés d’arme blanche qui sont tombés sous les balles d’agents du SPVM depuis l’an dernier n’étaient pas nécessairement « en forme » mais semblaient plutôt en crise, selon les témoignages rapportés dans les médias.
D’autre part, les policiers patrouilleurs montréalais qui sont en contact quotidien avec le public sont tous équipés, sans exception, de pistolets semi-automatiques.
Comme l’avait souligné l’an dernier la journaliste Mali Ilse Paquin, correspondante de La Presse à Londres, l’intervention policière qui a couté la vie à MM. Hamel et Limoges aurait pu connaître une issue différente si elle avait eu lieu dans les rues de la capitale britannique « pour la simple et bonne raison qu’ici, les policiers ne se baladent pas avec des armes à feu. »
Ne serait-il pas temps de poser le débat du désarmement des policiers patrouilleurs ?
La nécessité d’une enquête publique
Le ministre de la Sécurité publique et la coroner en chef du Québec ont tous deux le pouvoir d’ordonner la tenue d’une enquête publique pour faire toute la lumière sur les causes et circonstances d’un ou plusieurs décès.
La Loi sur la recherche des causes et circonstances des décès stipule que la coroner en chef peut tenir compte de différents facteurs pour déterminer l’utilité d’une enquête publique, notamment :
pour obtenir les informations propres à établir les causes probables ou les circonstances du décès;
pour permettre à un coroner de formuler des recommandations visant une meilleure protection de la vie humaine;
pour informer le public sur les causes probables ou les circonstances du décès.
La CRAP a écrit à la coroner en chef, la Dr. Louise Nolet, pour faire valoir l’importance que revêt une enquête publique relativement aux décès de MM. Hamel et Limoges.
Une telle enquête publique aurait bien entendu l’avantage de permettre au public et aux proches des défunts d’apprendre comment et pourquoi deux hommes ont perdu la vie lors d’une seule et unique intervention policière, ce qui constitue en soi un événement hors du commun au Québec.
Mais une telle enquête est de plus nécessaire pour permettre à un coroner d’examiner publiquement des enjeux aussi importants pour la protection de la vie humaine que les problématiques des balles perdues et de l’usage de l’arme à feu.
Il ne faut pas attendre qu’un autre passant écope d’une balle perdue pour saisir l’occasion qui se présente à la collectivité de tirer les leçons de la tragédie du 7 juin 2011.
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http://www.lacrap.org/deces-de-mario-hamel-et-patrick-limoges-la-crap-exige-une-enquete-publique
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