Une recherche sur les ordonnances de traitement et d’hébergement en santé mentale a été dévoilée le 9 février 2012. L'enquête a été menée en 2009 par deux chercheurs de l'UQAM, Marcelo Otero et Geneviève Kristoffersen-Dugré.
En général, toute personne a le droit de décider si elle veut ou non recevoir un traitement ou être hospitalisée. Cependant, il est possible pour un psychiatre d'aller chercher une ordonnance de traitement. Cela veut dire qu'un jugement de la Cour peut forcer une personne à suivre une thérapie ou à être hospitalisée.
La recherche se penche sur le traitement psychiatrique dans la ville de Montréal. Elle a été réalisée en collaboration avec Action Autonomie, un groupe qui défend les droits des personnes vivant avec des maladies mentales.
Le but de l'enquête était de faire un portrait des gens à qui ces ordonnances sont imposées et du traitement qu'ils reçoivent. « Le premier constat, c'est que les conditions se sont beaucoup détériorées », a dit Johanne Galipeau, responsable de dossiers et des communications à Action Autonomie.
Il y a un très grand déséquilibre de pouvoir entre les patients et les psychiatres. Dans la moitié des cas, la personne dont il est question n'est pas présente pendant l'audience. La durée moyenne de ces audiences est de moins d'une heure. Dans la très grande majorité des cas, le traitement demandé est médicamenteux.
Droits bafoués
Johanne Galipeau dit que les droits des personnes atteintes de maladies mentales sont constamment bafoués. Pourtant, ils sont protégés au Québec sous la loi p-38 sur la garde en établissements. Cette loi établit trois formes de gardes forcées précédant l'administration d'un traitement. Son application n'est valide que dans les cas où une personne « représente un danger pour elle-même ou pour autrui ». La seule forme de garde qui peut être appliquée sans l'autorisation d'un juge s'appelle garde préventive. La garde préventive ne peut durer plus de 72 heures. Même les personnes qui sont placées sous curatelle et qui ne peuvent soi-disant pas prendre soin d'elles-mêmes ont le droit de refuser un traitement. La loi n'est censée s'appliquer que très rarement et les ordonnances de traitement devraient être un dernier recours.
Selon la recherche de l'UQAM et d'Action Autonomie, 19 requêtes en moyenne sont déposées chaque mois. Trois quarts d'entre elles sont acceptées.
Il est illégal de forcer quelqu'un à recevoir un traitement. Mais il y a des façons de contourner ces règles. Le chantage est utilisé dans les hôpitaux pour forcer les patients à prendre des pilules. Si tu veux sortir d'ici, tu dois avaler cette pilule. Quelle sorte de pilule? Des psychotropes, surtout. Et aussi des pilules pour contrer les effets secondaires des premières pilules. Mme Galipeau rapporte qu'elle a souvent entendu « c'est pas parce que je prends ma pilule que j'entends plus mes voix. » Elle sourit quand je lui demande ce que les psychiatres ont à gagner dans tout ça. « Surtout du prestige auprès de leurs collègues ».
Action Autonomie n'est ni pro, ni anti-pilule. Le groupe revendique le droit des patients à négocier la dose et la durée de leur médication. Il y a des gens qui ont appris à vivre avec leurs « voix » ou autres symptômes; il existe même une association des entendeurs de voix.
Causes sociales de la maladie mentale
En ce qui concerne le dénominateur commun chez les gens ayant développé une maladie mentale, l'enquête révèle que 95 pour cent d'entre eux sont dans la pauvreté. La plupart vivent seuls, n'ont pas beaucoup de proches et ne travaillent pas. Action Autonomie souhaite comprendre si ces conditions sociales mènent à la maladie mentale, ou si c'est plutôt le contraire. Le manque de ressources aux gens déjà atteints pourrait les propulser dans la pauvreté et la solitude.
Stigmatisation
D'après Johanne Galipeau, il y a un grand besoin pour des centres et des réseaux d'entraide. Les conditions « extrêmes » dans lesquelles la loi c-38 s'applique ne se présenteraient pas à la même fréquence s’il y avait davantage de services d'entraide. La relation entre un patient et un psychiatre est nécessairement inégale puisque l'un est considéré « sain d'esprit » et l'autre « fou ».
Il y a un gros problème de stigmatisation de la maladie mentale, opine Mme Galipeau.
Contrairement au stéréotype répandu, les personnes avec problèmes de santé mentale ne sont pas particulièrement violentes. « Seulement 20 pour cent des dossiers montrent des indices de démêlés avec la justice », peut-on lire dans l'étude.
Les médias jouent un grand rôle dans la stigmatisation. Ils se concentrent sur les cas de trouble psychiatrique où il y a eu de la violence. Dans l'étude, on apprend que plus de 30 % des dossiers font référence à des dépendances à l'alcool ou à la drogue. L'usage de l'alcool et la drogue, dit Johanne Galipeau, mènent souvent à la violence, que les gens impliqués aient des troubles mentaux ou non.
Mme Galipeau me raconte l'histoire d'une personne qui vivait dans une coop d'habitation. La personne se portait très bien. Les autres habitants de la coop ne connaissaient pas son historique de santé mentale. Quand ils l'ont appris, ils l'ont mis à la porte de la coop.
Puis, elle me raconte l'histoire d'une personne qui s'est présentée à l'urgence parce qu'elle s'était fait mal au pied. Après avoir consulté son dossier, la réception l'a envoyée... à l'urgence psychiatrique. Cette étiquette est comme collée au front en permanence. Elle définit une personne en entier aux yeux d'une grande partie de la société.
De la part du public, il faut absolument travailler « la tolérance. Le respect. Ce sont des êtres humains. »