Le conseiller en politiques autochtones Russell Diabo a donné une conférence à la communauté Carleton le février 5 dernier. Sa présentation, intitulée « La politique fédérale des revendications globales contre la reconnaissance des titres et droits ancestraux», a fait part des positions diamétralement opposées soutenues d’une part par le gouvernement canadien et d d’autre part par les communautés autochtones quant à la souverainement des peuples autochtones sur leurs territoires traditionnels.
Suite à la conférence, M. Diabo a accordé à Greg Macdougall, d’EquitableÉducation.ca, une entrevue portant sur les négociations menées par les Algonquins de l’Ontario au sujet de leurs revendications territoriales. Lors de cette entrevue, M. Diabo a aussi abordé le contexte particulier de quatre communautés algonquines vivant au Québec quant à leurs titres et droits ancestraux. L’extrait suivant fournit une vue d’ensemble de la situation des Algonquins du Lac Barrière, qui vivent dans une petite communauté 300 km au nord d’Ottawa.
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Equitable Éducation (EÉ): Et l’autre communauté que vous avez mentionnée était celle du Lac Barrière, qui a adopté une approche différente par rapport aux titres ou droits ancestraux.
Russell Diabo (RD): Eh bien, les Algonquins du Lac Barrière font partie du Secrétariat de la nation algonquine, le conseil tribal avec lequel je travaille, et ils ont conclu une série d’ententes avec le Canada et le Québec hors du cadre du processus de revendication territoriale.
La première, l’Entente trilatérale de 1991, est, en gros, une entente relative à la gestion des terres selon laquelle un plan intégré de gestion des ressources forestières et fauniques couvrant une surface de 10 000 kilomètres carrés du territoire des Algonquins du Lac Barrière, sera mis sur pied.
En 1998, ils ont signé une autre entente, bilatérale cette fois-ci et avec Québec, détaillant la mise en œuvre de l’Entente trilatérale. Cet entente inclut aussi l’accord, par Québec, de négocier une cogestion quant au partage des recettes [découlant de l’exploitation des ressources].
Toutefois, Québec se dit maintenant prêt à négocier [les détails de l’entente], excepté en ce qui a trait au partage des recettes. Or, cela constitue une violation de cette partie de l’entente.
[Il faut se rappeler] que Québec avait mandaté John Ciaccia, ancien ministre à l’Assemblée nationale, de représenter le gouvernement lors de la négociation [relative à l’Entente bilatérale], et que ce dernier avait recommandé de verser, à la communauté du Lac Barrière, 1,5 millions de dollars annuellement, revenu découlant de l’exploitation des ressources sur le territoire Algonquin reconnu par l’Entente trilatérale.
Depuis, Québec ne semble plus vouloir inclure le partage des recettes dans les négociations en cours actuellement, d’après la correspondance que Québec a envoyée aux Algonquins du Lac Barrière.
EÉ : Selon ce que je comprends, et afin d’être clair, cette entente n’entraînait pas la renonciation de quelque droit que ce soit.
RD : Non, en aucun cas cette entente ne touchait à la renonciation de titres ou de droits. En fait, elle s’est inspirée du rapport Brundtland, présenté en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations unies, et la communauté du Lac Barrière a retenu plusieurs de ses recommandations.
Une de ces recommandations stipulait que les peuples autochtones devraient avoir une voix prépondérante dans toute décision ayant trait à la gestion des ressources qui les touchent. Une autre faisait référence au concept de développement durable, qui impliquait de s’assurer que le développement des ressources se ferait « sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins » [tel que défini dans le rapport Brundtland]. La dernière, que la communauté du Lac Barrière voulait obtenir pour son territoire, renvoyait à la notion de stratégies de conservation. Ainsi, lors des discussions avec les gouvernements du Québec et du Canada, le processus de négociation déboucha sur le développement d’un plan de gestion intégré des ressources fondé sur les principes de conservation et de développement durable.
Le plan de gestion intégré des ressources faisait donc partie du processus, mais il faut se rappeler que la communauté visait surtout la promotion du développement durable et la prise d’un certain contrôle sur l’exploitation forestière afin d’éviter les coupes à blancs. En plus, les Algonquins du Lac Barrière étaient aussi touchés par les débordements continus des réservoirs Cabonga et Dozois, qui sont gérés par Hydro-Québec, et desquels Québec tire des revenus.
En gros, il y a, annuellement, près de 100 millions de dollars générés par l’exploitation des ressources sur le territoire des Algonquins du Lac Barrière, et ceux-ci n’en voient pas la couleur. C’est pour cela qu’ils veulent obtenir le partage de recettes et la cogestion, qu’ils veulent avoir leur mot à dire quant à la l’exploitation forestière et à la gestion de la faune sur leur territoire.
Dès le début, un petit groupe de la communauté s’est fait entendre : ses membres n’étaient pas d’accord avec l’idée de négocier – ils voulaient que toute activité cesse. La communauté avait discuté de cette option au début, et a réalisé que beaucoup de Québécois ont un emploi grâce à l’industrie forestière. Trois options s’offraient à elle : aucune exploitation forestière, et ils se mettraient à dos les villes de Maniwaki, de Mont-Laurier et de Val-d’Or, d’où proviennent les employés et où se situent les usines; la seconde consistait à ne rien faire et à laisser Québec passer des lois et couper à blanc leur territoire; et la troisième était d’accepter une exploitation forestière contrôlée, de protéger les sites algonquins, les sites culturels et l’environnement, et c’est l’option qu’ils choisirent et ce qui devint l’Entente trilatérale.
Le gouvernement canadien n’a pas aimé cette entente une fois signée. En fait, le Canada s’en est retiré en 2001 – Robert Nault, alors ministre des Affaires indiennes [maintenant AADNC ] sous Jean Chrétien, a violé l’entente en se rétractant.
Alors, en 2002, Québec a continué le processus et a assumé les coûts que le gouvernement fédéral aurait dû assumer. Ce processus a continué jusqu’en 2006 lorsque John Ciaccia, représentant du gouvernement québécois, et Clifford Lincoln, représentant des Algonquins, déposèrent un rapport avec des recommandations conjointes qui incluaient la cogestion et le partage des recettes. Le gouvernement n’a pas répondu aux recommandations du rapport et, au lieu de cela, les gouvernements du Canada et du Québec ont commencé à manipuler les affaires internes de la communauté, sa gouvernance, encourageant l’émergence de factions pour mettre fin aux ententes.
Pendant un certain temps, les conflits au sein de la communauté concernant le leadership l’ont empêchée de s’organiser afin de s’assurer que les ententes étaient honorées. Mais après quatre ans, les choses se sont arrangées – la communauté a été obligée de passer d’un mode de gouvernance coutumier au système électoral prévu dans la Loi sur les Indiens. Et, depuis, les membres de la communauté ont élus leur chef et conseil, et seulement un petit groupe s’opposent à eux. La majorité de la communauté les soutient, et ce sont eux qui tentent aujourd’hui de faire honorer ces ententes. Ainsi, ils poursuivent leurs négociations avec Québec, mais veulent que le partage des revenus soit inclus dans ces négociations, comme cela avait été conclu auparavant.
Le Canada n’est toujours pas à la table, parce qu’il veut que les négociations se fassent selon le processus de la politique sur les revendications territoriales globales. C’est ce que le gouvernement [fédéral] les pousse à faire. Il n’a jamais aimé l’Entente trilatérale justement parce qu’elle ne tenait pas compte de la politique sur les revendications territoriales globales – elle ne mène pas à l’extinction des titres ancestraux, au contraire, en accordant aux Algonquins un rôle de gestion dans la gestion des ressources et en partageant les recettes, [cette Entente trilatérale] renforce non seulement leurs titres et droits ancestraux, mais aussi leurs droits et leur juridiction en ce qui a trait à la gestion des ressources.
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L’histoire continue: recours judiciaire et déboires de Paypal
La communauté a récemment intenté une poursuite judiciaire contre le gouvernement fédéral et l’ancien et actuel séquestres-administrateurs nommés par le gouvernement pour s’occuper des finances de la communauté depuis huit ans. La communauté du Lac Barrière dénonce la mauvaise gestion et la rétention de fonds, d’informations et de données financières par les séquestres-administrateurs. Elle dénonce aussi leurs frais d’honoraires exorbitants. Enfin, elle cherche à mettre fin à la tutelle imposée par le gouvernement et à reprendre le contrôle de sa gestion financière.
De par la négligence des séquestres-administrateurs et du gouvernement, qui refusé de discuter avec la communauté pour remédier à cette situation, les Algonquins du Lac Barrière se retrouvent dans l’impossibilité de se conformer à la récente Loi sur la transparence financière des Premières Nations. Ils ne veulent pas être tenus responsables de décisions financières prises par des firmes comptables externes et préconisent plutôt la tenue d’un audit financier dans des conditions qu’elle estime juste, nous a fait savoir Solidarité Lac Barrière, un collectif qui soutient la communauté.
Plus récemment, Solidarité Lac Barrière a appris que Paypal avait gelé le compte de Solidarité Lac Barrière en réaction à des plaintes du gouvernement canadien. Cela fait suite au succès d’une campagne de levée de fonds lancée en décembre 2014 pour soutenir les familles de la communauté qui ne pouvaient s’alimenter convenablement après n’avoir reçu aucun paiement d’assistance sociale pendant plusieurs mois.
Pour plus d’informations, veuillez consulter le site web de Solidarité Lac Barrière à http://solidaritelacbarriere.blogspot.ca/.
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Traduction par tân tú vân et Evelyn Miranda
Cet article est paru dans le Leveller Vol. 7, No.5 (Feb/March 2015).
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