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DÉGAGE PATAPOUF !

Dissection d'une campagne de marketing ratée qui vire en explicite provocation.

by Olivier D. Asselin

Agression de l'État sur un manifestant
Agression de l'État sur un manifestant

N'allons pas croire un instant que la campagne « contre l'intimidation à l'école » publicisée pendant des semaines par la ministre Beauchamp fut lancée par hasard au début de la grève étudiante. Elle répondait précisément à l'image médiatique que le gouvernement tentait de propager ; celle que les « faiseurs d'images » de l'équipe libérale élaboraient âprement autour de cette situation sociale. La technique est connue : on joue sur les mots, on répète des détails technocratiques insignifiants de manière à leur donner de l'importance bref, on maquille la réalité. Le but de la campagne est limpide : tenter de minimiser ce que représente non loin de deux cents mille personnes refusant une injustice précise et s'exprimant collectivement au moyen d'une démocratie représentative étudiante.

L'intimidation

À entendre Line Beauchamp ces dernières semaines, on avait affaire à des gangs organisés, des petits caïds en puissance, susceptibles de créer le chaos social à chaque contrariété. Le spiel fut d'ailleurs lamentablement repris par Denise Bombardier en éditorial la semaine dernière quand elle affirmait que les professeurs s'étaient prononcés en faveur de la grève de peur d'être « malmenés » au quotidien par leurs étudiants (sic). C'est l'équipe de communication du gouvernement qui a du apprécier son succès en la lisant étaler les RISQUES et le DANGER qui nous guettent à proximité des institutions scolaires. Bassement exploitée à chaque apparition publique par une ministre aussi souriante que la marionnette d'un ventriloque, cette politique de la peur représente une tactique des plus disgracieuses.

Le spiel marketing qu'ils nous servent depuis deux mois s'essouffle. La campagne de mots-clefs qu'ils nous martèlent a fait son temps.

La violence a mille visages. Il y a quelques jours, j'étais à l'assemblée générale de mon association facultaire (AFELC-UQAM) et pendant une longue et riche discussion sur le thème de la violence, plusieurs éléments particulièrement pertinents sont apparus. D'abord que la violence est partout. La vie implique la violence. Notre consommation de nourriture détruit, broie et assimile végétaux et animaux au quotidien. L'appel à la non-violence totale du bouddhisme est ici une exception intéressante mais autrement, la vie implique de la violence à l'égard de la vie, en permanence.

Autre nuance : la violence envers une chose inerte -une poubelle, une voiture, une vitrine- est très différente d'un geste de violence adressé à l'encontre d'un être humain. Surtout si cette chose inerte se trouve à être le symbole d'une idéologie politique tel une banque dans le capitalisme mondialisé du XXIe siècle. On peut regretter des gestes de destruction du mobilier urbain, bien entendu, mais il faut reconnaître le geste politique dans la sélection très représentative de la casse quand elle s'oriente vers les commerces directement liés aux structures de la finance globalisée qu'on dénonce. À la limite, on ne peut plus ici blâmer les jeunes de désengagement politique.

La position officielle de notre association facultaire est des plus louable à cet effet: nous ne sommes pas là pour nous prononcer -en encore moins condamner, ce qui est le privilège d'un magistrat!- sur les tactiques des gens qui luttent contre l'injustice qui nous préoccupe. Nous adhérons donc au principe de la diversité des tactiques tout en dénonçant la violence faite à l'encontre d'individus, quels qu'ils soient. En outre, nous continuons à réclamer que le gouvernement dénonce une brutalité policière injustifiée.

Mais au-delà de ces nuances fort instructives, il convient de se remémorer le contexte dans lequel notre actuel confort social est né il n'y a pas si longtemps. Le simple concept de la fin de semaine, unanimement accepté aujourd'hui n'a-t-il pas été acquis par de chaudes luttes d'organisations anarcho-syndicalistes qui ont vu le sang couler pour leurs idéaux ? Qui remettrait en question aujourd'hui la semaine de 5 jours – sinon pour la réduire ? Où en serait le droit de vote des femmes et les droits civiques de toutes les minorités si ces mouvements n'avaient jamais usés de violence ? Un droit peut se demander longuement; ultimement, il doit se prendre. L'histoire se souvient souvent des pacifistes et des négociateurs mais ceux-ci n'ont de rapport de force que quand d'autres sont prêts à opposer une résistance physique à l'injustice. La force est dans la diversité.

Mais une autre chose est ressortie de la discussion lors de mon AG : il ne faut pas oublier que le fait d'en débattre longuement entre nous constitue une petite victoire pour les « faiseurs d'images » de Jean Charest dans la mesure où ils réussissent à orienter l'enjeu de cette grève autour de certains faits périphériques, comme les méthodes de contestation de certains individus, même si ceux-ci ne représentent pas du tout le mouvement étudiant.

Ce qui nous amène au contexte pourri dans lequel on nous demande ces sacrifices. Croyez-le bien, les étudiants sont conscients du contexte dans lequel évolue le système d'éducation. Difficile de na pas l'être quand les ficelles du système de corruption dépassent de partout. En 2012, les structures politiques canadiennes sont précisément à la source d'une concentration anachronique des pouvoirs politico-économiques. Le vol quotidien des dernières richesses biologiques de notre terre dans un système si bien organisé entre les contributions électorales, les « expertises » des grandes compagnies minières et la concentration de l'information médiatique est directement lié à la révolte étudiante.

Ne serait-il pas temps de s'interroger un peu sur le cadre politique qui permet de telles corruptions ? Jusqu'à quand tolérerons-nous un système parlementaire si rigide qu'une fois au pouvoir, un homme -sauf exception- a pratiquement le droit de faire ce qu'il veut des institutions publiques et ce pendant 4 ans. Regardez à Ottawa. Stephen Harper bafoue l'une après l'autres toutes les règles démocratiques et on ne peut que s'en offusquer. Pour que Justin Trudeau reconnaisse l'alternative de l'indépendance du Québec, il faut que la transformation soit radicale. Jean Charest quant à lui, a réussit l'exploit de devenir la risée générale de sa population -la saga « destituons patapouf » n'était pas seulement une bonne blague, c'était également un phénomène populaire d'une ampleur inédite- tout en se maintenant à son poste et en conservant tous ses pouvoirs. Où sont passées les guillotines dites-vous ?

En mars dernier, au lendemain de la marche historique qui a rassemblé plus de 200 000 personnes à Montréal, Patrick Lagacé de la Presse soulignait un fait important : si cette marche pacifique ne parvient pas à convaincre le gouvernement d'ouvrir un dialogue avec les étudiants, alors il devra porter une partie de la responsabilité de la casse qui ne manquera pas de survenir.

Deux mois plus tard, non seulement les libéraux n'ont pas encore ouvert un quelconque dialogue avec les étudiants, mais Jean Charest en rajoute et organise un cocktail échangiste politico-corporatif au palais des congrès, à deux pas des étudiants en colère. Et ce n'est pas n'importe quelles corporations qui sont conviées : ce sont les minières canadiennes. Celles dont les abus de droits humains en Amérique latine, en Afrique et ailleurs dans le monde sont documentés. Celles qui, au Québec, ne paient pratiquement aucune redevance en impôt en échange du saccage du territoire qu'elles occasionnent. Celles qui représentent l'industrie de la guerre à l'énergie avec leurs intérêts géostratégiques mondiaux et celles qui sont derrière le sabotage de chaque effort de la communauté internationale pour freiner les effets catastrophiques des changements climatiques. Charest rencontre alors le lobby des sables bitumineux, des gaz de schistes et du pétrole. Et il rit.

Il se bidonne pendant que la colère gronde dehors. C'est ce qu'on appelle de la provocation.

Désormais son jeu est ouvert. Le bluff est dévoilé. La violence que l'on vit aujourd'hui au Québec n'a de cause que la propre bêtise du gouvernement.

Et si on décidait de foutre dehors ce gouvernement libéral? Si les syndicats et les citoyens le voulaient, ils pourraient certainement forcer Charest à démissionner en moins d'une semaine. Occuper la rue est une option puissante pour les sans lobby. De toute façon, au point où il en est, l'Histoire se chargera de lui.

Soulignons toute la créativité qu'un tel mouvement de grève porte et répercute dans sa société. L'éloquence de ses portes-paroles est superbe et rafraîchi des bandes-sonores politiques qu'on a l'habitude d'entendre aux informations. Mais c'est aussi un mouvement qui porte le lourd héritage de devoir se situer en équilibre idéologique entre un radicalisme révolutionnaire offensant pour les téléspectateurs-consommateurs et un aplat-ventrisme qu'on aura vite de fait de condamner dans les médias de toute façon. Soit on est pas assez politisé, soit on est trop radical.

Soyons fier de la révolte qui gronde dans la rue contre ces agents d'immeubles libéraux qui nous servent une novlangue stérile pour continuer leur exploitation à outrance. Mort au Plan Mort.

 

www.odasselin.wordpress.com


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