En février 2004, le canada a pris part à un coup d'État qui a fait tomber le gouvernement d'Haïti, élu démocratiquement. Le pays se retrouva sous le règne de terreur du gouvernement d'«interim», non-élu, qui a bénéficié d'un soutien financier, diplomatique et militaire complet de la part du Canada. Pendant les années qui ont suivi, des milliers de personnes furent tuées pour leur opposition au gouvernement non-élu issu du coup d'État, alors que des milliers d'autres étaient emprisonnées ou forcées à se cacher.
Denis Coderre, actuel favori dans l'élection à la mairie de Montréal près de dix ans plus tard, avait à l'époque joué un rôle décisif dans les moments cruciaux du coup d'État.
M. Coderre était le ministre responsable de la Francophonie en 2003 et 2004, ainsi que le «conseiller spécial pour Haïti» auprès du premier ministre Paul Martin pendant la période ayant suivi le coût d'État.
À l'approche du coup d'État, les fausses affirmations de Denis Coderre ont induit en erreur le public et jeté la confusion dans l'opposition naissante à la participation du Canada dans la destitution d'un gouvernement élu démocratiquement. Dans les milieux officiels, l'illusion a tenu jusqu'à aujourd'hui.
«C'est clair que nous ne voulons pas la tête d'Aristide, nous croyons qu'Aristide devrait rester», affirma M. Coderre à la Presse Canadienne le 20 février 2004. C'était quatre jours avant que les troupes canadiennes atterrissent en Haïti et facilitent la destitution du président Jean-Bertrand Aristide (qui avait été élu avec 80% des suffrages) et du gouvernement élu, ouvrant la voie à l'installation de remplaçants choisis avec soin.
L'affirmation sonna faux à ce moment-là: un an auparavant, un plan pour le remplacement du gouvernement haïtien avait été coulé anonymement au journaliste Michel Vastel par le prédécesseur de Denis Coderre à la Francophonie. Parce que M. Coderre n'était pas directement relié à cette histoire, il pouvait nier que son gouvernement planifiait un coup d'État, avec une certaine crédibilité face aux gens qui ne voudraient pas creuser davantage. La vérité a finalement été établie en 2006, quand les mémos diplomatiques de l'Ambassade du Canada en Haïti ont révélé que neuf jours avant que Denis Coderre prétende que le Canada voulait qu'Aristide reste en place, son gouvernement était déjà en train de planifier l'invasion militaire d'Haïti et le coup d'État.
Dans son mémo du 11 février, Kenneth Cook faisait porter par Aristide la responsabilité de la crise. Cette crise avait en fait été essentiellement créée par les États-Unis, comme l'ont ensuite rapporté le New York Times, entre autres, mais c'était un prétexte permettant de se débarrasser d'un gouvernement qui refusait de suivre ses directives néolibérales. Dans un autre mémo, M. Cook semble considérer plusieurs moyens de destituer Jean-Bertrand Aristide, incluant un coup d'État militaire.
Denis Coderre a répété la fausse prétention que le Canada travaillait pour la résolution pacifique du conflit précédent le coup d'État à de nombreuses occasions, au Parlement et à la presse. M. Coderre était le délégué du Canada à une «mission de paix» qui, le 22 février, a prétendu tenter de trouver une solution pacifique à la crise.
Le 29 février, les troupes canadiennes on pris le contrôle de l'aéroport de Port-au-Prince pendant que les Marines étatsuniens kidnappaient le président élu d'Haïti et l'envoyaient par avion en République Centrafricaine. Les troupes canadiennes ont alors occupé le pays. Elles ont ensuite été remplacées par la «Force de stabilisation» de l'Organisation des Nations Unies (ONU), la MINUSTAH, qui occupe encore Haïti aujourd'hui.
Lorsqque le nouveau gouvernement sélectionné par les Américains a été installé, Denis Coderre n'a pas rien manqué. Au Parlement, il a prétendu qu'Aristide avait quitté de son propre accord, puis il a repoussé les appels à une enquête sur le départ d'Aristide par une fuite en avant:
«Au lieu de penser continuellement à tenir des enquêtes parce que nous pensons que le président a quitté, ne devrions-nous pas plutôt penser à la reconstruction d'Haïti, et de s'assurer que les rebelles et les insurgés de toutes les factions soient désarmés et que, par dessus tout, le peuple d'Haïti soit respecté et protégé?»
Le Canada a déjà commencé à recréer Haïti, supervisant entre autres choses son ministère de la Justice et sa force de police. Le bureaucrate de l'aide canadienne Philippe Vixamar a été nommé ministre délégué à la Justice (le ministre étant Bernard Gousse, bureaucrate de l'aide américaine), et il est resté un employé du gouvernement du Canada. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a supervisé l'entrainement et l'inspection de la nouvelle Police nationale haïtienne. Le peuple d'Haïti a-t-il été «respecté et protégé»?
Les faits était hautement contestés à l'époque, mais il reste maintenant peu de doute. Plusieurs rapports étoffés – par Amnistie Internationale, par des équipes de l'Université de Miami et de l'école de droit de Harvard, ainsi que par d'autres groupes pour les droits humains – accusent la police entraînée et cautionnée par la GRC du meurtre de milliers de dissidents politiques, par des attaques brutales dirigées contre des quartiers pauvres et des assassinats de masse. Ces commandos étaient souvent accompagnées de «forces de la paix» de l'ONU et de troupes canadiennes, qui participaient souvent aux assassinats ou fournissaient un soutien militaire.
Au même moment, les prisons d'Haïti – sous l'œil attentif du ministre délégué à la justice, employé de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) – étaient remplies de milliers de prisonniers politiques, habituellement gardés dans des conditions invivables.
Ces développements ne semblèrent pas affecter M. Coderre, qui a pris soin d'applaudir en mai 2005 le rôle de la GRC. «Dans mon rôle de conseiller spécial pour Haïti, a-t-il déclaré au Parlement, j'ai pu constater que la GRC a fait un travail exemplaire à l'échelle internationale.»
Semant la confusion autour de l'implication du Canada dans le coup d'État, et en encourageant l'appui à ses interventions horribles au cours des années qui ont suivi, Denis Coderre a puisé dans son passé de relations publiques. Avant d'être député, M. Coderre était un vice-président du Groupe Polygone, une firme de relations publiques qui a été sous enquête pour sa participation à 44 millions $ de contrats du gouvernement du Canada sous les Libéraux, pendant le scandale des commandites. En 2000, la firme a reçu un paiement de 330000$ pour la promotion du gouvernement du Canada pendant un événement de chasse et de pêche qui n'a jamais eu lieu.
D'une certaine façon, le paiement de sa firme pour des services qui n'ont jamais été rendus peut être vue comme un aperçu annonçant la contribution de Denis Coderre à faire disparaître le coup d'État en Haïti du débat public. Peter Hallward, qui a écrit un historique du coup d'État de 2004 en Haïti, a écrit que «non seulement le coup d'État de 2004 a-t-il destitué un des plus populaires gouvernement de l'Amérique Latine, mais il parvint également à le démettre d'une façon qui n'a pas été largement critiquée ou même tout simplement reconnue comme un coût d'État». Sans aucun doute, Denis Corerre a joué un rôle décisif à un moment crucial pour contribuer à ce «succès».
Bien qu'elles peuvent avoir disparu de la conscience canadienne, les conésquences du coup d'État restent très réelles pour les Haïtiens. Lavalas – qu'on peut toujours considérer comme le parti politique le plus populaire du pays – a été banni de toutes les élections depuis 2004. Pendant ce temps, les conséquences du tremblement de terre dévastateur de 2010 ont ajouté de nouvelles profondeurs à la souffrance du pays.
«Nous continuons le travail. Nous continuons à avancer», a récemment déclaré Denis Coderre à propos de sa campagne électorale. Pendant qu'il sollicite le vote des électeurs comme maire de Montréal, son legs se poursuit également en Haïti.
Version originel (avec hyperliens) ici. Traduction par Nicolas Falcimaigne