Depuis que le gouvernement conservateur a acquis la majorité à la Chambre des communes, cinq projets de loi sur la justice criminelle sont entrés en vigueur. À lui seul, le projet C-10 sur la sécurité des rues et des communautés vise plus de 200 dispositions relatives au système criminel. Si les conservateurs ne cachent pas leur intention de durcir le ton envers les criminels, l’approche punitive qu’ils préconisent ne cesse d’être décriée par les criminologues et les juristes.
En juin 2011, lors du discours du Trône inaugurant la nouvelle session parlementaire, le premier ministre Stephen Harper a assuré que son gouvernement « ne tardera pas à présenter à nouveau des mesures législatives sur la loi et l’ordre ». En effet, les projets de loi relatifs à la justice criminelle jadis présentés par les conservateurs se sont presque tous éteints, se butant tour à tour à l’opposition majoritaire.
Dans leur plate-forme politique, les conservateurs déplorent que ces « réformes » aient été bloquées « au nom d’une idéologie déconnectée de la réalité qui excuse les criminels ». Une fois majoritaires, ils récidivent : le projet de loi C-10 reprend presque verbatim les dispositions de neuf projets de loi défaits. Il est finalement adopté en mars dernier, cent jours seulement après sa présentation initiale.
Peines minimales
Pour l’essentiel, la loi C-10 allonge les peines d’emprisonnement minimales prévues pour certaines infractions. Elle crée aussi de nouvelles peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues. Par exemple, une personne qui cultive plus de six plants de marijuana subira une peine d’au moins six mois de prison.
En imposant ainsi des peines d’emprisonnement obligatoires, le gouvernement amoindrit le rôle des juges lors du procès. Selon les principes du Code criminel, il revient au juge d’imposer une peine « proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité » de l’accusé. Au terme de cet exercice de pondération, le juge peut conclure que la prison n’est pas la peine appropriée. Il peut recourir à une alternative, comme ordonner à l’accusé de purger sa peine dans la collectivité.
Or, maintenant que le texte de loi prévoit une peine en milieu carcéral obligatoire, le juge a les mains liées. Il n’a pas la marge de manœuvre nécessaire pour adapter la peine au crime commis. Il se doit d’imposer exactement ce que la loi prévoit, sans égard aux circonstances entourant l’accusé.
Dans son mémoire concernant le projet de loi C-10, le Barreau du Québec s’est fait catégorique. Il qualifie les changements comme « un recul important », dénonce les « effets pervers » qui peuvent en découler et déplore cette « forme d’immixtion du pouvoir législatif dans ce qui relève normalement du pouvoir judiciaire. »
L’Association canadienne de justice pénale rappelle que la sévérité de la peine n’a pas d’effet dissuasif. « Les délinquants ne s’arrêtent tout simplement pas à considérer la durée de la peine qu’ils pourraient encourir avant de décider s’ils devraient ou non commettre un crime. Ils s’inquiètent davantage de savoir s’ils risquent d’être pris et punis pour ce crime », peut-on lire sur son site.
Glissements punitifs
En plus d’imposer des peines minimales, C-10 resserre les règles entourant la condamnation avec sursis qui permet à un accusé de purger sa peine dans la collectivité en limitant la possibilité d’appliquer cette peine pour plusieurs types d’infractions. Les règles entourant la libération conditionnelle sont aussi durcies.
D’autres modifications affectent l’actuelle Loi sur le système de justice pénale pour adolescents pour faciliter l’incarcération des jeunes contrevenants. L’approche s’inscrit en faux avec l’esprit de cette loi qui vise la réhabilitation et la réinsertion sociale des adolescents de 14 à 17 ans, à l’écart du système pénal pour adultes. Avec les récents changements, des adolescents accusés de crime contre des biens, comme un vol, courent une peine de cinq ans de prison.
L’affermissement des politiques criminelles se fait sentir jusqu’à la demande de pardon. Cette procédure permet à une personne ayant purgé sa peine en totalité de demander à ce que les informations relatives à cette condamnation puissent être enlevées du casier judiciaire. Auparavant, les accusés devaient attendre trois à cinq ans après la condamnation, selon la nature du crime commis, avant d’être éligibles au pardon. Avec ces nouveaux changements, l’attente est maintenant de cinq et dix ans. Les frais d’administration rattachés à la demande ont été récemment augmentés de 150$ à 631$.
Prisons surpeuplées
Pour plusieurs, ces changements sont susceptibles d’accroître le taux d’incarcération. Pourtant, ils sont introduits à un moment où les pénitenciers canadiens débordent.
Les agents correctionnels se montrent d’ailleurs de plus en plus inquiets des effets de cette surpopulation sur leurs conditions de travail. Dans un récent communiqué de presse, Pierre Mallette, le président du Syndicat des agents correctionnels du Canada déplore la situation. « Le gouvernement enferme plus de détenus dans moins de prisons, tout en nous octroyant moins de ressources pour les réadapter. C’est la catastrophe assurée », souligne-t-il.
En 2010, le Centre canadien des politiques alternatives rapportait déjà les inquiétudes des agents correctionnels travaillant dans des pénitenciers qui rassemblent autant des meurtriers que des prisonniers coupables de vol à l’étalage.
Population marginalisée
Le durcissement des politiques criminelles affecte particulièrement les groupes traditionnellement marginalisés. Au Canada, ce sont les femmes autochtones qui constituent le groupe avec la plus forte croissance carcérale.
Selon des rapports de la Société Elizabeth Fry, un organisme communautaire venant en aide aux femmes faisant face à la justice criminelle, le nombre de femmes dans les pénitenciers canadiens a bondi de 50% dans les dix dernières années. Quant à la représentation des femmes autochtones, celle-ci a augmenté de 90% au cours de la même période selon les statistiques de Sécurité publique Canada.
Un rapport de l’Association des femmes autochtones du Canada indique qu’en 2011, celles-ci représentaient moins de 4% de la population canadienne, mais près de 34% de la population carcérale féminine. Ces statistiques sont appuyées entre autres par le rapport annuel de l’Enquêteur correctionnel du Canada et de Statistiques Canada.
Le rapport Marginalisées : l’expérience des femmes autochtones au sein des services correctionnels fédéraux rendu public le 27 septembre 2012 est tout aussi accablant. Préparé par le Wesley Group et publié par Sécurité publique Canada, il souligne que le « programme de lutte contre la criminalité du gouvernement fédéral ne contribue en rien à réduire le pourcentage disproportionné d’Autochtones incarcérés… Le plan actuel du gouvernement fédéral ne fera qu’augmenter le nombre de détenus autochtones ».
Dans ce contexte, il n’est pas certain que les stratégies punitives mises en place par les conservateurs au nom de la loi et l’ordre puissent résulter en autre chose qu’une exacerbation des problèmes systémiques actuels de marginalisation et de surpopulation.
Ce texte a été initialement publié dans le Journal des Alternatives.