Des mois de préparation. Près de 150 militant-e-s dans une salle. Derrière, les succès du mouvement étudiant. Sur la route, la fébrilité du mouvement Idle No More. Et devant, l’agenda conservateur. Les 26 et 27 janvier derniers, des représentant-e-s de différents coins du Canada se sont rassemblé-e-s, sous l’initiative d’Alternatives, à l’Université d’Ottawa dans une atmosphère de convergence des mouvements sociaux contre l’incessante montée des idées de droite. Un des objectifs du rassemblement est de constituer un contrepoids au gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Les participant-e-s ont adopté le véhicule du forum social. Celui-ci se tiendra à la fin de l’été 2014, à un endroit précis encore à déterminer, et incluant des activités décentralisées. Le forum, initialement appelé Forum social des peuples Québec-Canada-Peuples autochtones, est devenu le Forum social des peuples. Le changement s’est fait dans un souci d’intégration. Plusieurs avaient soulevé le fait qu’une telle appellation excluait de facto plusieurs groupes de personnes, comme les personnes sans statut et les travailleurs immigrants.
S’organiser ensemble…
La première journée de l’assemblée a débuté avec des présentations des différentes luttes. Jérémie Bédard-Wien de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) a présenté un récapitulatif de la lutte étudiante québécoise du printemps dernier. Pour réussir à vaincre la droite, a-t-il souligné, il faut réussir à implanter nos idées progressistes et les mouvements sociaux et grassroots doivent s’organiser ensemble.
Même son de cloche auprès de Tria Donaldson, membre de l’organisation Powershift qui travaille sur le terrain de la justice climatique. Elle a affirmé que la crise climatique n’est qu’un symptôme d’un plus grand problème. Le capitalisme ne s’arrêtera pas de lui-même et s’unir permettrait de déranger le statu quo.
… mais dans le respect des différents rôles et tactiques
Russell Diabo, analyste de la politique du fédéral envers les Premières nations et membre de Defenders of the land a ensuite parlé de la multiplication des attaques législatives du gouvernement conservateur contre l’autodétermination des peuples autochtones. Nous appelant à faire face au dur passé colonial du pays, il a mis en garde contre une réappropriation des questions et des luttes des peuples autochtones dans un processus de front commun.
Une participante a d’ailleurs insisté sur la position que doivent prendre les allié-e-s allochtones. Leur rôle est important, mais il devrait être derrière les autochtones. Elle a souligné l’importance de respecter les méthodes traditionnelles, affirmant au passage que Idle No More a une dimension spirituelle pour plusieurs. Bref, si les Premières nations sont amenées à jouer un rôle dans le Forum, elles doivent être en position de leadership pour les enjeux qui les touchent. Elles devront décider elles-mêmes des questions qui sont pertinentes à leurs luttes.
Michael Guerrero, un organisateur de forums sociaux aux États-Unis, a beaucoup misé sur les forums sociaux comme réponse aux attaques néolibérales, qu’elles viennent des conservateurs, de la National Rifle Association ou du Tea Party. Pour lui, tous les forums sociaux sont singuliers, car ils répondent à un contexte régional particulier. Un point fort du discours de M. Guerrero précisait que les groupes doivent accepter les différences des autres, mais que l’important est de créer des alliances stratégiques. Au final, la diversité des tactiques semble de mise pour atteindre le but collectif. Exit le consensus par le plus petit dénominateur commun, il faut parler de convergence et tenir de véritables discussions politiques.
« Idle Know More » ou l’importance de s’instruire sur les enjeux autochtones
Il y avait une forte présence des représentants autochtones des différentes nations au Canada à l’assemblée du Forum social des peuples. Jessica Gordon et Sheelah McLean, deux fondatrices du mouvement Idle No More ont pris parole pour rappeler l’importance des éléments grassroots de la mobilisation sociale. Elles ont souligné la fréquence des comportements colonialistes envers les autochtones, qu’ils soient institutionnalisés dans l’État canadien ou présents dans les organismes et chez les individus. Il reste donc un très grand travail à faire en matière de déconstruction des attitudes et des privilèges. Elles posent la question : « Comment travailler à travers ces différences créées par les systèmes oppressants ? »
Importants défis à venir
Si les participant-e-s se sont entendu-e-s sur la nécessité de s’unir, les différentes interventions durant l’assemblée ont mis en relief d’importantes tensions. L’ennemi est commun, certes, mais les méthodes d’organisations pour le freiner diffèrent. Souvent, la culture organisationnelle faisait entrave aux discussions sur la nécessité d’être inclusif. Les méthodes des organisations hiérarchiques étaient souvent en contraste avec les suggestions des militant-e-s grassroots.
Plusieurs se sont questionnés sur la manière dont l’organisation du Forum pouvait exclure certaines personnes. Les suggestions d’amélioration allaient de choses aussi simples que la présence d’un service de garde ou séparer dès le début l’audience en de petits groupes pour discuter des différentes propositions au lieu d’y aller directement en plénière. Sur le plan de la parité femme-homme, il a fallu l’insistance de certaines personnes dans l’auditoire pour que le modérateur laisse une plus grande place aux interventions des femmes.
Ces critiques ont été entendues à plusieurs reprises sur le parquet de l’assemblée. À la fin, des comités se sont formés pour réfléchir au moyen de rendre le processus organisationnel plus inclusif, et pour porter le processus au-delà de la fin de semaine à Ottawa. Les organisateurs se sont montrés ouverts aux suggestions, soulignant que le projet est de longue haleine et qu’on peut faire mieux. D’ici là, l’enjeu principal du Forum social des peuples sera d’identifier des thèmes communs aux différents acteurs du mouvement.
Des initiatives parallèles
Le Forum social n’est pas la seule initiative de convergence nationale pour freiner l’agenda des conservateurs. Le regroupement de mouvements sociaux Causes Communes, lancé ce 28 janvier, a comme but, selon son site officiel, de « fournir des alternatives à l’agenda du gouvernement conservateur actuel ».
En parallèle, il y a aussi la Coalition de Port Elgin. Quelque 80 militant-e-s se sont réuni-e-s en Ontario en novembre dernier pour réfléchir sur une association des organisations progressistes pour freiner les politiques de la droite. Leur proposition formule certains principes organisationnels qui permettraient de discuter d’enjeux propres aux réalités des acteurs de la mobilisation sociale à venir.
Au fond, les trois initiatives ont des objectifs similaires et mobilisent des personnes qui ont souvent travaillé ensemble. À tout le moins, elles signalent le début d’un dialogue à l’échelle nationale. La résistance qui s’organise depuis des mois risque fortement de trouver un point d’ancrage dans les nouvelles solidarités qui en émergeront.
Article rédigé avec la collaboration d’Aurore Fauret. Initialement publié sur le site du Journal des alternatives. Crédit photo : Arij Riahi