Traduit et publié sur Antidev
Une traduction d’un article paru sur Balkanist, au sujet des soulèvements populaires dans et autour de la Bosnie-Herzégovine, contre le gouvernement mis en place par l’OTAN…
"Qui sème la faim récolte la colère", mettait en garde un graffiti rouge sur un édifice gouvernemental de Sarajevo la semaine dernière. Ce message était l’expression de la profonde pauvreté et désillusionnement régnant en Bosnie et Herzégovine (BiH) qui a amené les gens à se prendre part à des manifs à travers ce pays divisé où le taux de chômage est d’environ 40 pourcent. Les manifestant-es ont depuis pris d’assaut et dévasté des édifices gouvernementaux à Tuzla, Zenica, Mostar et dans la vile capitale de Sarajevo, où les quartiers généraux du Président ont été mis en feu. Des manifestants auraient par ailleurs lancé des feux d’artifices et des pierres à la police, qui ont répondu avec des balles de plastique et des gaz irritants. Des centaines ont été blessés. Ce vendredi, l’activiste Darko Brkan a qualifé les manifestations de “dépression nerveuse collective”.
Les manifs ont commencé mardi dans la ville de Tuzla au nord, où 10 000 ex-travailleurs se sont rassemblé pour demander que le gouvernement local enquête sur des privatisations douteuses qui aurait détruit les compagnies et leur climat de travail vivable. Parmi ces firmes dans le trouble il y avait l’usine de meubles Konjuh, qui fut fondée en 1885 par des entrepreneurs Austro-Hongrois. Durant la période socialiste, la compagnie employait 5300 travailleurs et vendait des meubles de haute qualité à des clients à travers cinq continents. Mais en décembre 2012, la compagnie n’a seulement employé que 400 travailleurs, dont certains ayant été en grève de la faim. Aussi présents étaient des manifestants de l’usine de détergent Dita, vieille de 36 ans, un des plus gros producteurs de détergents liquides et poudre à lessive au pays. Les ex-employés de la Dita ont protesté dans un contexte de salaires impayés pour au moins deux ans.
Le gouvernement du canton de Tuzla a déclaré à la foule constituée pour la plupart d’hommes d’âge moyen qu’ils n’ont aucune autorité sur des compagnies privées. Cependant, ça pourrait ne pas être vrai. La majorité des actionnaires de l’usine Konjuh (des travailleurs) ont transféré leurs droits de vote au gouvernement cantonal de Tuzla il y a plusieurs années.
De nombreuses manifestations se sont tenues à Tuzla ces dernières années après la perte d’emplois et la dévastation environnementale de ce qui est maintenant une zone post-industrielle. La centrale énergétique de Tuzla brûle 330 000 tonnes de charbon chaque année, et a sérieusement pollué la rivière Jala. D’autres polluants ont fui des usines, entre autres des usines de produits chimiques qui otn récemment fermé.
Plusieurs résidents de Tuzla expriment des sentiments Yougo-nostalgiques, lamentant que des services médicaux fiables et l’accès à l’information ont détrôné certaines de leurs inquiétudes des années socialistes concernant la pollution. Ils se sont longtemps plaint d’être ignorés par les autorités, et des manifs, piquetages, grèves de la faim et sit-ins sont devenus courants dans une ville qui fut jadis celle du boom industriel.
Les premiers affrontements entre police et manifestants à Tuzla ont eu lieu mercredi dernier, et continué le jour suivant. Vendredi, des images dramatiques ont commencé à apparaître sur Twitte: l’édifice du gouvernement local encore enrobé par les flammes; des écrans d’ordinateurs cassés, du papier éparpillé, et d’autres débris lancé des bureaux au-dessus; des graffitis sur la façade appelant aux politiciens à démissioner.
Et les manifestants se sont étendues. Quique la plupart de ces mobilisations se limitèrent à la Fédération -la moitié Bosniaque et Croate de la Bosnie et Herzégovine- plusieurs centaines de Serbes prirent les rues de Banja Luka, la capital Serbe de Bosnie, pour une manif de solidarité.
Des groupes de manifestants organisés ont encouragé ce genre de solidarité. Un mouvement qui s’est donné le nom de “UDAR” -le même nom que le parti d’opposition de Vitali Kiltshko en Ukraine- dit s’être formé spontanément cette semaine en réponse aux manifestations à Tuzla et appellent maintenant à “une extension du mouvement”. Ils ont déjà produit une vidéo de mobilisation sophistiqué de trois minutes disponible en sous-titres Anglais et Allemands. Pour UDAR, c’est important que Bosniaques, Serbes et Croates se battent ensemble et rejettent le nationalisme souvent utilisé par le gouvernement pour créer des divisions entre les gens."
Malgré le fait que plusieurs d’entre eux ont fait usage d’une rhétorique définitivement anti-nationaliste, ce fut difficile pour certains diplomates de sympatiser avec les manifestants après avoir vu des images de colonnes de fumée noire s’élevant au-dessus d Sarajevo, des voitures (appartenant supposément à des politiciens) tournées à l’envers dans une bouche d’égoût, ou bien lu des nouvelles à l’effet que les archives historiques de la période Austro-Hongroise ont été incinérées dans un incendie.
Autant l’UE que les États-Unis ont vite fait de proférer des condamnations des “conduites violentes” qu’ils ont qualifié de “déporables” et “inexcusables”. L’UE a remercié les agences des police “pour leurs efforts dans des circonstances extrêment difficiles”.
Cependant, nous avons reçu un témoignage de brutalité policière de la part d’un journalist de Sarajevo: “J’ai marché juste devant le vieil édifice municipal que les manifestants venaient tout juste de brûler. Quelques minutes plus tard, j’ai observé un policier matraquer trois manifestants alors que d’autres flics les tenaient immobiles.” Il y a aussi eu d’autres reportages de brutalité policière plus tôt la semaine dernière.
Les démonstrateurs ont blâmé la police pour toute cette violence. Une “Déclaration des travailleurs et citoyens du canton de Tuzla” diffisé tard ce vendredi après-midi a expliqué que, “une accumulation de rage et de colère sont les causes pour cette conduite aggressive. L’attitude des autorités a créé des conditions pour une escalation de colère et de rage.”
Il demeure que d’autres ont été laissés à se demander comment les gens à travers la BiH pouvaient devenir si enragés avec le gouvernement au point de saccager et incendier ces édifices dans plusieurs grandes villes.
Certains croient que la réponse s’est bâtie à même la fondation de cet État d’après-guerre. Le traité de paix de Dayton, signé en Ohio en 1995, a tourné le pays en un purgatoire pour deux entités ethniquement ségrégées. Depuis ce temps, le principe-guide de la “communauté internationale” pour bâtir une démocratie en BiH a été “séparés mais égaux”, ce qui a connu peu de résultats positifs. Malheureusement, ça a rendu impossible pour qui que ce soit d’accepter une identité supranationale “Bosniaque”.
Additionellement, les élites ethniques sont devenues la cible de mépris, vues de plus en plus comme des serviteurs corrompus d’un système dysfonctionnel gardant la BiH affamée et pauvre, polarisée et congelée. Alors que de nouvelles élections approchent, l’ethnicisation de la politique apparaît encore plus asburde. Comme quelqu’un a graffitié sur un édifice du gouvernement à Tuzla, “Mort au nationalisme!”.
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