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Adolfo Ich et la canadienne HudBay Minerals

by Journal des Alternatives

Adolfo Ich et la canadienne HudBay Minerals

L’industrie extractive au Guatemala a depuis longtemps soulevé de nombreuses controverses, et le rôle des entreprises canadiennes dans celle-ci est bien connu. Les compagnies canadiennes dans le pays sont nombreuses, avec la présence de la mine Marlin de Goldcorp, l’exploration de fer sur la côte sud par G4G Resources et le travail en cours de la mine d’argent près de San Rafael de las Flores par Tahoe Resources, entre autres. Les questions de l’autonomie autochtone, du droit des terres, des effets environnementaux et des conflits communautaires se posent pour l’ensemble des projets miniers du pays.

Mais c’est la compagnie canadienne HudBay Minerals, dans la municipalité d’El Estor, département d’Izabal, qui est actuellement au coeur des derniers développements de l’histoire de l’industrie minière au Guatemala. Le 1er décembre de l’année dernière, Angelica Choc, l’épouse du leader autochtone Adolfo Ich Chamán, a intenté un procès devant un tribunal de Toronto contre HudBay Minerals pour dommages généraux et punitifs, d’un montant de $12 millions, suite à la mort de son mari. Angelica Choc est représentée par les avocats du cabinet Klippensteins, Barristers & Solicitors. Ces derniers accusent les actions illicites et omissions de HudBay Minerals, ainsi que de sa filiale Compañia Guatemalteca de Nickel (CGN), d’avoir causé la mort d’Adolfo Ich le 27 septembre 2009. La compagnie a nié toute implication dans ces faits, mais soutient qu’elle coopère pleinement dans l’enquête afin de trouver les responsables.

Rappelons que l’industrie minière canadienne a joué un rôle actif dans la région d’El Estor dès les années 1960, lorsque Inco y a acquis des droits miniers de nickel. Ainsi, les conflits territoriaux ont existé depuis la première heure, alors que les communautés autochtones locales exprimaient leur indignation face aux revendications du gouvernement guatémaltèque et des entreprises canadiennes au sujet de la propriété de leurs terres. Les expulsions ont commencé dans les années 1960 avec l’ouverture de la mine, et plus récemment, en 2006 et 2007, Skye Resources -maintenant HMI Nickel Inc, une société écran du Canada et filiale de HudBay- a été accusée de collaborer avec la police guatémaltèque et les forces militaires dans l’expulsion de centaines de paysans autochtones de diverses communautés de la région de El Estor. Des maisons ont été brûlées lors des expulsions, et dans l’une des communautés, des allégations de viols collectifs ont été formulées à l’encontre des forces de sécurité gouvernementales et privées.

En outre, il n’est pas évident que la compagnie possède bel et bien les droits des terres contestés. Selon un rapport publié en 2007 par l’Organisation Internationale du Travail des Nations Unies (OIT), le gouvernement guatémaltèque a déjà violé les lois internationales en accordant à Skye Resources les droits miniers dans la région, sans avoir préalablement consulté la population locale -une violation de la convention 169 de l’OIT, concernant les peuples autochtones dans les pays indépendants-. Cependant, les forces gouvernementales ont continué à faire pression sur les communautés locales pour qu’elles quittent les terres en question, afin de les mettre à disposition pour des activités minières.

Toutefois, le cas porté devant la cour de Toronto se concentre uniquement sur les événements du 27 septembre 2009. Selon les rapports, la gouverneure du département d’Izabal, Luz Maribel Ramos, est arrivée ce jour-là dans la communauté de Las Nubes, accompagnée par des membres de la Police Nationale Civile et la sécurité privée de la CGN. Les résidents affirment que, malgré l’absence de toute documentation juridique ou d’un ordre d’expulsion, ils ont insisté pour que les familles quittent la communauté immédiatement. La compagnie soutient pour sa part que la gouverneure s’était déplacée afin de dialoguer avec la communauté sur la manière de résoudre l’occupation illégale des terres. Quelles que soient les intentions de la part de l’État ou de l’entreprise, la présence des fonctionnaires a mené à des manifestations de membres de communautés voisines d’El Estor, en faveur de leurs droits à la terre, et contre les fonctionnaires et le personnel de sécurité présents.

Adolfo Ich, un professeur bien connu et leader communautaire d’une communauté voisine de La Union, était déjà connu par les autorités gouvernementales et la CGN. Deux semaines avant, il avait organisé une réunion entre les autorités municipales, départementales ainsi que nationales, et les communautés de El Estor afin de discuter des inquiétudes relatives à leurs terres. Lorsque dans l’après-midi du 27 septembre des coups de feu ont été entendus en provenance d’un édifice de la CGN près de son domicile, Ich s’est dirigé par là pour voir ce qu’il s’y passait. À l’arrivée, il a été reconnu comme leader communautaire par le chef de la sécurité de CGN, Mynor Padilla. Padilla l’a alors spontanément invité à venir parler avec eux, afin de rétablir le calme. Selon les témoins,aussitôts qu’Ich a approché les forces de sécurité, plusieurs individus l’ont attrapé et commencé à le battre, tandis que d’autres l’ont attaqué avec des machettes. Par la suite, ils prétendent que Mynor Padilla a sorti son arme et lui a tiré dans la tête à bout portant. Plus tard dans la journée, Adolfo Ich est mort de ses blessures. Sept autres membres des communautés voisines ont également été blessés par des tirs ce jour-là, dont certains grièvement.

Selon Sergio Belteton, avocat du Comite de Unidad Campesina (CUC) et représentant légal d’Angelica Choc au Guatemala, un fonctionnaire du Ministère Public s’est présenté dans la communauté le jour suivant. Après enquête, un mandat d’arrêt a été émis à l’encontre de Mynor Padilla en décembre 2009. Cependant, malgré les cinq témoins oculaires et le mandat d’arrestation existant, Padilla demeure en liberté, et exerce toujours ses fonctions de chef de la sécurité de CGN. Malheureusement au Guatemala, où le taux d’impunité pour les crimes atteint 98%, selon la Commission Internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG), cela est affaire courante. Dans un pays où seulement 2% des crimes arrivent devant les tribunaux, il n’est pas surprenant que la famille Ich/Chaman soit obligée de chercher la justice pour la mort d’Adolfo Ich jusqu’au Canada.

Bien que les avocats de Klippensteins espèrent que ce cas marquera un précédent dans le cadre juridique canadien, les événements soulignent la nécessité d’une législation régulant les activités des sociétés canadiennes dans les pays où le cadre juridique existant est parfois incapable d’apporter la justice. L’affaire pourra prendre des années à faire son chemin à travers les tribunaux ; en attendant il n’existe toujours pas de moyens efficaces pour les communautés des pays en développement, de faire entendre leur voix lorsque leurs droits sont menacés ou violés.

Suite à la défaite rapide l’automne passé du projet de loi C-300 de John McKay, -lequel aurait constitué un forum pour les citoyens étrangers souhaitant porter plainte contre les sociétés extractives canadiennes quant aux abus commis dans le pays d’accueil-, l’attention se concentre désormais sur le projet de loi C-354 de Peter Julian, parlementaire membre du NPD. L’objectif de ce projet consiste à tenir responsables toutes les sociétés canadiennes des violations des droits de l’Homme, peu importe où elles se produisent. Cependant avec la forte opposition de représentants de l’industrie minière au projet de loi C-300, nous pouvons redouter une opposition au projet de loi C-354. L’industrie insiste sur le fait que les initiatives de responsabilité sociale sont le moyen adéquat d’atteindre la justice et le respect des droits de l’homme dans les pays étrangers. Ce raisonnement reste cependant vivement contesté par ceux qui croient qu’il relève de la responsabilité du gouvernement d’imposer les mesures juridiques nécessaires aux activités minières.

Reste à voir ce qui adviendra du cas juridique d’Adolfo Ich à Toronto. La réponse de HudBay au procès a été de demander aux tribunaux de l’Ontario de transférer le dossier au Guatemala. Cependant, les problèmes endémiques du système judiciaire guatémaltèque et la stagnation du cas juridique qui sévissent dans le pays laissent penser avec quasi-certitude que le transfert du dossier vers le Guatemala marquerait sa fin par la même occasion. Durant cet intervalle, HudBay et CGN continueront à établir leur présence dans l’exploitation de nickel dans la région d’Izabal.

par Andrew MacPherson, le 18 mars 2011 Le Journal des Alternatives

Pour plus d’informations, visitez le site Web mis en place par Klippensteins sur ce sujet : http://www.chocversushudbay.com/

Voir en ligne : Projet Accompagnement Québec-Guatemala

 


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