Par Diane Walsh et Élisabeth Wilson
Comment donner un visage humain à l'inquiétude et aux menaces subies sur le terrain par les petites ONG luttant quotidiennement contre les mutilations génitales feminines (MGF) ? Comment donner une voix aux sans voix ?
Prenons le cas du Togo. Les mutilations génitales féminines (MGF) se pratiquent au Togo ? Oui. À vrai dire, on parle d'un phénomène global. AMEVI-Togo (Amour, Espérance et Vie) n'a de cesse d'essayer de faire connaître ce fléau, tout d'abord localement. Sur le plan international, le défi demeure de taille. Malgré un manque crucial de ressources, ces soldates silencieuses travaillent au risque de leur vie et dans un vide médiatique total. Vous n'en entendez jamais parler? C'est que ces ONG n'ont pas des moyens équivalents à ceux de TOSTAN ou de l'UNICEF. Elles sont pourtant nombreuses, sans site internet, œuvrant de village en village, loin du radar de la grande armada onusienne. Leurs modèles de sensibilisation, modestes mais sur-mesure, menant à l'abandon permanent des MGF par les communautés laissent pantois.
Rencontre avec une activiste et femme de terrain agissant parfois au péril de sa vie. Voyage au cœur des défis quotidiens d'une femme déterminée à sauver une à une, des petites filles de l'excision. Josée GAVI va vous aider à comprendre l'incroyable difficulté de certaines fillettes et femmes togolaises à demeurer intactes, car issues d'ethnies et régions touchées par ces traditions. Il y a des communautés où le respect de l'intégrité corporelle de la femme n'existe pas. Les mutilations sexuelles sont un rite de passage ancestral. Certaines normes sociales obsolètes rendent les violences traditionnelles envers les femmes encore acceptables. Mais elles ne l’ont jamais été.
Les MGF ne se pratiquent non seulement en Afrique, mais également en Indonésie, au Moyen-Orient, chez certains peuples aborigènes, chez les coptes, les musulmans, les chrétiens et même dans une communauté juive d'Éthiopie. Avec les migrations, on ne peut plus détourner le regard. Ces femmes sont aujourd'hui françaises, allemandes, canadiennes, américaines, latino-américaines ou australiennes. Elles vivent au quatre coins du monde. Ancestrale la tradition? Oui et non. L'excision a été pratiquée dans des hôpitaux psychiatriques américains pour combattre l'hystérie, jusqu'en 1956.
Josée GAVI voudrait sensibiliser les hommes et les femmes de toutes les cultures. Fini la chape d'isolement qui frappe les petites organisations. Pour que les sociétés civiles du monde entier puissent agir, il faut comprendre les besoins réels de la lutte contre les MGF et rompre l'isolement total des petites ONG investies dans cette cause. La clé dit-elle: des ressources mieux allouées, des évaluations sur le terrain uniformes, une médiatisation et des campagnes de sensibilisation constantes, tant au Nord que dans le Sud. Plus que jamais, il faudra soutenir le travail des petites structures déployées sur le terrain.
Q: Depuis combien de temps vous êtes-vous engagée dans la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF). Pourquoi cet engagement ?
R: Nous sommes engagés dans le mouvement contre les mutilations génitales féminines depuis 2010. Nous sommes là, suite aux cris d'alarme de nos sœurs et des enfants qui ont été victimes d'excision. Notre présence et notre action sont fortement ancrées sur le terrain, avec les communautés. Notre zone d’intervention est peuplée majoritairement d’ethnies pour lesquelles l’excision est une tradition. Ils sont Mossi, Yanga, Bissa, Peuls et Koussassi.
Q: Qui est Josée GAVI et comment s'articule votre travail avec les victimes et fillettes à risque, afin de bien le communiquer au public?
R: Je suis Présidente Fondatrice de l'ONG AMEVI-TOGO. Notre organisation milite dans la défense et le respect des questions des droits de l'enfant et de la femme. Nous nous sommes spécialisés dans l'éducation de l'enfant en général et l'épanouissement de la femme vulnérable en particulier. Mais sans l'appui et la reconnaissance de la société civile, les choses seraient plus difficiles. C'est important qu'elle soit en contact avec nous. Malgré les menaces et les attaques personnelles, nous demeurons des fractions de cette société traditionnelle qui se reconnaît culturellement en nous. La gravité de cette tradition, ses conséquences non mesurées sur la société dans son ensemble, demandent pour s'y engager, une force d'âme hors du commun. Les efforts sont immenses, les ressources maigres, la critique facile et les encouragements rares. Chaque mot, chaque don, chaque geste de collaboration compte et sauve une vie.
Q: De quelle façon votre travail s'arrime-t-il avec celui du Comité Inter-Africain (CI-AF), de l'Union Africaine, des Nations Unies ou de toute autre organisation travaillant à une échelle globale dans l'abandon des MGF ?
R: Malheureusement jusqu'à présent nous ne sommes associés ni aux Nations Unies, ni à l'Union Africaine, ni au CI-AF. Nous avions fait une demande de partenariat à l'UNICEF en 2010, mais notre demande est demeurée sans suite. Nous voudrions bien être associés à toutes ces organisations de taille, parce que nous défendons les mêmes causes. Mais nous ne savons par où commencer et comment nous y prendre. Nous avons toujours mené des actions avec nos fonds propres, ce qui est très limité, raison pour laquelle nous avons des projets importants mais que nous n'arrivons pas à exécuter, faute de soutien et de partenariats conséquents. Cette entrevue est l'occasion pour nous de nous faire connaître d’avantage.
Q: Avez-vous pu contribuer au contenu de la résolution historique des Nations Unies bannissant mondialement les MGF adoptée le 20 décembre 2012 ?
R: Nous avions de très bonnes idées à soumettre et tellement d'expériences acquises sur le terrain à partager avec une institution telle que l'ONU. Je pense qu'elles auraient pu contribuer à enrichir le texte de la résolution des Nations Unies. Mais du fait que nous ne sommes pas encore dans le sérail onusien (statut ECOSOC) nous nous sommes retrouvés dans l'impossibilité d'apporter notre humble, mais non moins valide, collaboration. Le statut ECOSOC, je le rappelle, donne donc le droit aux ONG de participer aux grandes réunions et à divers mécanismes onusiens, d'y prendre la parole, de distribuer des documents et d'avoir accès aux ressources de l'ONU. Il permet aux ONG d'exprimer leurs opinions et d'influencer le cours des événements. On travaille sur ce dossier en ce moment.
Q: Y a-t-il des organisations avec lesquelles vous êtes entrée en partenariat et qui vous permettent de donner une voix à votre travail sur le terrain ?
R: Nous sommes officiellement en partenariat avec deux ONG, notamment OREPSA, une ONG de lutte contre les MGF et le mariage forcé et une ONG béninoise dénommée, Amis des Enfants en situation difficile au Bénin. Je suis heureuse de vous annoncer que nous sommes aussi sur le point d'entrer en partenariat avec l'Alliance Globale contre les MGF (AG-MGF) basée à Genève. L'AG-MGF compte faire de nous, le tout premier membre fondateur de son réseau d'ONG du sud et du nord luttant contre les MGF. Il n'y a pas d'autre structure donnant une voix au petites ONG, et leur permettant de faire connaître, au cas par cas, leur travail afin d'enrichir la communauté des MGF. Je suis honorée que le Togo, par l'entremise de notre travail soit mis ainsi à l'honneur.
Q: Qu'est-ce qui fait la force de votre équipe ?
R: Cette tradition violente nous touche de très près. Dans notre équipe, presque toutes les travailleuses ont eu une relation directe avec la pratique de l'excision ou avec les garantes de cette tradition. Deux de nos animatrices ont même été excisées. Elles ont de la peine à oublier cette expérience : une parente au moins a été excisée ou exciseuse, laveuse ou démarcheuse. Voilà pourquoi nous sommes déterminés plus que jamais à en finir avec cette pratique dangereuse pour la santé des femmes et des petites filles. Notre plus grand défi: l'abandon total des MGF dans notre zone d’intervention et l’épanouissement des femmes excisées.
Q: Avec votre modèle d'abandon, vos statistiques sur la prévalence ou le recul des MGF dans votre zone d'intervention, alimentez-vous le Portail et système de mapping de l'AG-MGF ?
R. Non. Par contre, notre ONG servira de modèle et de prototype pour montrer comment l'Alliance fonctionne, comment et pourquoi en faire partie et en quoi cette synergie constituera une réelle valeur ajoutée sur le terrain. Le Portail de l'AG-MGF sera en fait un Centre d'Information et de Recherche Virtuel (CIRV) sur les MGF. Il permettra de combler un vide majeur dans le secteur des MGF: des bases de données structurées, des statistiques fiables et faciles d'accès. Ce centre et son outil de mapping permettront d'accélérer, la collaboration scientifique et le partage de données. Il permettront aux gouvernements, aux pays donateurs et aux Agences des Nations Unies d'avoir une idée village par village, association par association, du réel travail qui est fait, plutôt que d'avoir des données par région ou par pays. Les stratégies pourront être sur-mesure et ciblées.
Q: Que voudriez-vous faire dans le court terme ?
R: Beaucoup de choses restent à faire, notamment le maintien des progrès obtenus en matière de lutte contre les MGF, d’abandon total des MGF, sans oublier la prise en charge psychologique, juridique et sociale des femmes et enfants victimes de cette terrible tradition. Tout ce travail ne sera possible qu’à la condition de disposer d’un financement conséquent, ce qui nous fait cruellement défaut en ce moment.
Q: A quels médias au Togo et en Afrique de l'ouest avez-vous déjà parlé ?
R: La télévision publique du Togo (TVT) et une presse privée ont couvert certaines de nos activités. Nous avons également fait partie du no spécial MGF du UNSpecial, le Magazine des fonctionnaires des Nations Unies à Genève. Ce numéro a été coordonné par les co-fondateurs de l'Alliance Globale contre les MGF. Le Magazine est distribué dans toutes les Agences des Nations Unies à Genève, au siège de l'ONU à New-York, à l'UNESCO à Paris, à l'OMS et ses bureaux régionaux, à Vienne, ainsi que dans toutes les Missions Diplomatiques accréditées à l'Office des Nations Unies à Genève. Il semblerait aussi que les articles aient été lus au Canada !
Q: Le Togo est, dit-on, un chef de file en matière de lutte contre les MGF. Quel est le succès de ses campagnes sur le terrain ?
R: Je sais qu’il existe d’autres associations dans mon pays qui interviennent dans le même créneau. Les actions sont disparates et il n’existe aucune structure de coordination entre elles. Je compte me rapprocher du Ministère de tutelle impliqué dans la question des MGF pour voir comment agir en synergie à l’avenir, pour avoir plus d’impact, vu que nous avons des moyens très limités. Pour ce qui concerne AMEVI-TOGO, depuis que nous avons initié des actions de terrain, de 2010 à maintenant, beaucoup de femmes exciseuses ont pu abandonner leur pratiques. Nous les avons organisées en groupement afin de créer des activités génératrices de revenus (AGR) qui puissent les occuper et leur éviter d’y replonger.
Q: Quel serait le rendez-vous le plus déterminant de votre vie ?
R: Une rencontre avec le Président du Togo. Informations: http://www.global-alliance-fgm.org/ http://indydianewalsh.com/fgm-news-2/
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