Texte republié de Faits et Causes
Laurent Proulx et Miguael Bergeron ont déposé mercredi une requête devant la Cour supérieure pour contester la validité constitutionnelle de sept articles de la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants (« L.a.f.a.e »). Ils demandent à la Cour d’invalider les articles au motif qu’ils violent les droits à la liberté d’association et la liberté d’expression garanties par la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans leur requête, les deux étudiants universitaires dénoncent la cotisation obligatoire et le monopole de représentation des associations étudiantes. Ils soutiennent que les étudiants québécois devraient être libres de s’associer à un regroupement étudiant et de choisir d’y cotiser ou pas.
La L.a.f.a.e prévoit qu’une seule association d’étudiants par établissement pourra être accréditée. Tous en sont membres, à moins d’entamer les démarches pour s’en retirer. L’étudiant qui se retire ne peut toutefois pas rejoindre une autre association, puisqu’il n’y en a pas d’autres qui sont accréditées.
Syndicalisme étudiant
La requête des demandeurs s’en prend aux objectifs de la L.a.f.a.e. En adoptant la loi en 1983, le gouvernement aurait voulu « transposer le fonctionnement des syndicats de travailleurs au monde étudiant ». Ce jeu de miroir ne serait pas justifié selon les demandeurs :
« [Il] n’est pas plus justifiée, pour l’État, de forcer les étudiants à s’associer à une association donnée, qu’il ne serait de forcer les patients des hôpitaux à joindre une association de patients ». En d’autres termes, « les étudiants ne sont pas des travailleurs mais plutôt les bénéficiaires de services ».
Pour l’essentiel, la requête oppose des droits individuels à des droits collectifs. Proulx et Bergeron critiquent le choix législatif d’un système de représentation collective fortement influencé par le système syndical.
La requête cite un extrait d’une étude dirigée par deux avocats et professeurs de droit de l’Université Laval, Christian Brunelle et Louis-Philippe Lampron, qui y comparent les modèles de représentation syndicale et étudiante.
Ils soulignent qu’en voulant garantir un droit collectif aux étudiants dans la L.a.f.a.e, le législateur a favorisé l’émergence d’un droit politique. Ce constat est utilisé par les demandeurs pour soutenir que les dispositions de la L.a.f.a.e sont contraires à la Charte canadienne des droits et libertés.
Or, le même constat n’a pas empêché les deux professeurs de droit de conclure aussi que « la consécration d’un droit de grève, en contexte étudiant, est à la fois compatible avec l’esprit ”collectiviste” qui a présidé à l’adoption de la L.a.f.a.e et avec les libertés fondamentales garanties par les Chartes des droits. »
Des décisions récentes de la Cour suprême du Canada sur la liberté d’association ont aussi reconnu la dimension collective de la liberté d’association. Les arrêts Dunmore et Health Services ont tous deux conclu que ce droit constitutionnel ne pouvait pas être restreint à un aspect strictement individuel.
Cotisation et travail politique
La cotisation à l’association étudiante est obligatoire pour tous les étudiants selon la L.a.f.a.e. Pour les deux demandeurs, ce financement est problématique lorsqu’une association s’engage dans du travail politique. Pour illustrer, ils citent la conduite des associations étudiantes le printemps dernier :
« Ces dernières ont imposés [sic] de façon directe une certaine conduite à leurs membres en, par exemple, interdisant l’accès aux salles de classes [sic]. Elles ont aussi imposés [sic] une conduite à leurs membres de façon indirecte en utilisant leurs cotisations à des fins politiques ».
La question de la cotisation obligatoire a été analysée par les tribunaux dans un contexte syndical. En 1946, la Cour suprême a jugé qu’étant donné que le syndicat négocie une convention collective qui profite à tous, il est raisonnable d’exiger une cotisation de tous les employés visés, qu’ils soient membres ou pas du syndicat. C’est ce qu’on appelle la formule Rand.
La Cour réitère en 1991 dans l’affaire Lavigne que les limites à la liberté d’association découlant de la cotisation obligatoire sont justifiables dans la société actuelle.
Proulx et Bergeron se représentent seuls devant la Cour supérieure. Leurs démarches sont appuyées par la Fondation 1625. La même organisation était à la tête de la demande de recours collectif déposée en août dernier contre 25 établissements d’enseignement francophones pour avoir suspendu les cours à la session d’hiver 2012.
Arij Riahi est chef de pupitre à Faits et Causes.