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Femmes autochtones disparues entre violence et silence

Lorsqu’il s’agit des femmes autochtones disparues et assassinées, les provinces lancent la balle au fédéral qui n’en finit plus de jongler. Entre temps, des groupes communautaires se mobilisent, mènent eux-mêmes des recherches de leurs filles disparues et recueillent des informations que le gouvernement trouve difficile à quantifier.

by Arij Riahi

Femmes autochtones disparues entre violence et silence

Les majuscules rouges s’alignent sur le carton blanc jusqu’à former une phrase. « Les femmes aborigènes sont aimées et valorisées », peut-on lire. À l’endos, une note adressée au premier ministre Stephen Harper lui demande un plan d’action national pour freiner la violence envers les femmes autochtones. S’il faut le lui rappeler, c’est que les cas de femmes autochtones disparues et assassinées se comptent par centaines au pays.

Il y aurait au pays 600 cas de femmes autochtones disparues et assassinées depuis 1970. Ce nombre, qui est le plus souvent avancé, émane d’un rapport de 2010 de l’Association des femmes autochtones, mais d’autres organisations avancent des chiffres nettement plus élevés. Le groupe Families of Sisters in Spirit a en effet recensé de plus de 4000 cas à partir des témoignages des familles des victimes. Il n’existe toutefois pas de données officielles, puisque les services de police canadiens ne consignent pas d’information relatives à ce type de disparitions.

Le caractère disproportionné du nombre de victimes autochtones de crimes violents est toutefois largement documenté. Selon un rapport de 2011 de Statistiques Canada, le taux d’homicide de femmes autochtones est sept fois plus élévé que chez les femmes non autochtones. En 1996, un rapport du ministère des Affaires autochtones faisait déjà état de cette disproportion en signalant que les jeunes femmes autochtones sont cinq fois plus à risque d’une mort violente.

L'ONU enquête

Les appels à une commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées se multiplient mais restent sans réponse concrète. Pour plusieurs, il s’agirait du moyen le plus efficace pour examiner le travail des policiers enquêtant sur la question, et ce serait aussi un moyen de se pencher sur les facteurs socio-économiques qui rendent les femmes autochtones particulièrement vulnérables.

« L’ampleur et la gravité des violations des droits humains subies par les femmes autochtones nécessitent une réaction d’ensemble, coordonnée à l’échelle du pays et tenant compte des facteurs sociaux et économiques qui rendent ces femmes plus vulnérables à la violence », écrit Amnistie Internationale dans un rapport de 2004. « Malheureusement, le gouvernement fédéral n’a pas fait preuve d’une grande volonté politique dans ce domaine », conclut l’organisme.

Si le fédéral est silencieux, l’ONU se penche sur la question. En décembre 2011, le Comité des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a mis sur pied une enquête sur les disparations et les meurtres des femmes autochtones au Canada. Il examine les cas de violations systématiques des droits des femmes résultant d’une politique gouvernementale ou d’une pratique particulière.

Le Comité a complété une enquête similaire en 2004 au Mexique. Elle s’est traduite par une série de recommandations sur les orientations politiques et législatives du gouvernement. Son premier rapport sur le Canada devrait être remis en décembre 2014.

L'échec d'Oppal

En Colombie-Britannique, une commission d’enquête provinciale a été mise sur pied à la suite de la condamnation de Robert Pickton pour le meurtre de six femmes. Les restes de 33 victimes ont été trouvés sur la ferme de Pickton. Plusieurs de ses victimes étaient des jeunes femmes autochtones vivant dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver.

La Commission Oppal devait établir les raisons pour lesquelles ni la police de Vancouver ni la Gendarmerie royale du Canada ne sont arrivées à arrêter Pickton plus tôt, malgré les nombreux cas de disparitions signalés dans le quartier entre 1997 et 2002.

Les travaux de la Commission ont été critiqués à plusieurs reprises. Il est arrivé que des groupes ayant obtenu l’autorisation de participer à l’enquête n’aient pas reçu le financement nécessaire pour permettre leur participation. La province a également apporté son soutien financier aux équipes juridiques des services de police tout en refusant de financer celles des groupes autochtones et des groupes de défense de droits des femmes. Cest le cas notamment de l’Association des femmes autochtones du Canada, qui a dû se retirer des travaux de la Commission.

Selon trois groupes de défense des droits humains oeuvrant en Colombie-Britannique, la Commission Oppal est un « échec total » qui a perpétué les mêmes problèmes systémiques qu’elle essayait d’enrayer. La Pivot Legal Society, l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique et la West Coast’s Women Legal Education and Access Fund ont publié leur rapport le 19 novembre dernier.

« [C]ette Commission démontre ce qui ne doit pas être fait lorsqu’une commission d’enquête publique implique des communautés marginalisées », peut-on y lire. « La Commission a répété les mêmes erreurs qui ont permis au tueur en série Robert Pickton d’opérer avec impunité ».

Les trois groupes y formulent une série de recommandations pour les prochaines commissions d’enquête publique. Pour l’essentiel, il s’agit de mettre sur pied des processus de consultation et de participation des groupes marginalisés en leur offrant des ressources supplémentaires de financement et de représentation juridique.

Il n’est toutefois pas garanti que de nouvelles commissions d’enquête puissent voir le jour bientôt. Lorsqu’il s’agit des femmes autochtones disparues et assassinées, les provinces lancent la balle au fédéral qui n’en finit plus de jongler. Entre temps, des groupes communautaires se mobilisent, mènent eux-mêmes des recherches de leurs filles disparues et recueillent des informations que le gouvernement trouve difficile à quantifier. Si elles continuent, au détour d’une carte postale adressée au premier ministre, à demander que justice soit faite, c’est qu’elles se refusent au silence.

Texte initialement publié sur le site du Journal des alternatives. Crédit photo: Thien.

 


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Topics: Indigenous
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