CURITIBA – La colère continue de gronder au Brésil où plus d'un million de manifestants sont descendus dans les rues jeudi 20 juin. La police militaire a répondu par des tirs de balles en caoutchouc à Salvador, capitale de l'état de Bahia, où les manifestants s'étaient regroupés en masse avant le coup d'envoi d'une rencontre de soccer dans le cadre de la Coupe des Confédérations. D'autres heurts violents avec les forces de l'ordre ont eu lieu à Sao Paulo, Brasilia et Rio de Janeiro.
Hier, Fernando Haddad, le maire de Sao Paulo, est pourtant revenu sur le prix du billet dans les transports en commun, l'élément déclencheur du mouvement qui a commencé la semaine passé dans la plus grande ville d'Amérique Latine. L'ancien ministre de l'éducation a rencontré en urgence la Présidente de la République Dilma Rousseff et l'ancien chef d'état Lula, avant d'annoncer l'annulation de la hausse.
En effet, la vague de colère a débuté la semaine passée après l'instauration d'une augmentation de sept pour cent du prix dans les transports en commun à Sao Paulo. Les tickets de bus, train et métro ont augmenté de vingt centavos, passant de 3 à 3,20 réais (une hausse d'environ 10 cennes), dans un pays où le salaire minimum ne dépasse pas les 350 dollars.
Cette mesure n'est pas passée inaperçue sur les réseaux sociaux où les jeunes, principalement issus des classes moyennes, ont vivement exprimé leur mécontentement. Militant pour la gratuité dans les transports publics, le Movimento Passe Libre est descendu dans la rue, accompagnés par plusieurs milliers de personnes, jeudi 13 juin, non loin d'Avenue Paulista, en plein cœur de la ville.
Lundi 17 juin, suite aux évenements de Sao Paulo, plusieurs dizaines de milliers de Brésiliens ont envahi les artères des grandes villes du pays pour manifester leur mécontentement face à la hausse du prix de la vie. Selon la presse locale, ils étaient plus de 100,000 à Rio de Janeiro à s'être regroupés sur l'avenue Rio-Branco, en plein cœur du centre des affaires de la future ville olympique, avant d'être dispersés par la police militaire.
Les chaînes de télévisions nationales ont diffusé en boucle les images des manifestants à Brasilia, la capitale fédérale, qui ont tenté d'envahir le parlement en fin de journée. Une mobilisation qui a touché les centres urbains de quasiment toutes les grandes villes de pays, de Belem à Porto Alegre, en passant par Curitiba et Belo Horizonte.
Cette première vague de contestation a trouvé un fort échos sur internet où des photos et des vidéos de jeunes brésiliens arrêtés par la police militaire ont été échangées sur la toile. Les images de la jeune journaliste du quotidien Folha de SP, Giuliana Vallone, blessée au visage après avoir été atteinte d'un tir de flashball par la police militaire, ont fait le tour des réseaux sociaux. Cette première manifestation, marquée par des violences policières, a eu un véritable retentissement national.
«Facebook a réellement facilité l'organisation et la diffusion du mouvement. Il a encouragé de nombreuses personnes à participer. Il a rendu le mouvement plus facile à organiser et à aider à montrer les abus et ce qu'il s'est réellement passé lors des manifestations. Les images des violences policières ont sans aucun doute contribué à donner de l'ampleur au mouvement. Les gens ont aussi pris conscience que les manifestants étaient leurs amis, ou bien même des membres de leur famille, ce qui a créé un espace plus important pour le débat. Facebook montre des choses que les médias traditionnels ne veulent pas diffuser à grande échelle, » explique Pedro Campos, doctorant à la prestigieuse Université de Sao Paulo (USP), et présent dans les rues lors la manifestation de lundi.
Un couple a été passé à tabac, plusieurs journalistes ont été arrêté, dont un reporter de la revue Carta Capital, pour avoir transporté du vinaigre dans son sac à dos afin de se protéger contre les gaz lacrymogènes. La répression a été accompagnée de scènes de pillage. La police militaire a répondu par la force, procédant à plus de 150 arrestations, sans pour autant réussir à contenir la foule.
La frustration a continué de croître et d'autres motifs sont venus se greffer au mouvement: gaspillage de l'argent publique en vue de l'organisation de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques, inflation, corruption, prix de la vie en constante en hausse, manque d'investissement dans les secteurs de la santé et de l'éducation, insécurité, violence policières.
Lors de l'ouverture de la Coupe des Confédérations samedi 15 juin à Brasilia, le discours de la Présidente de la République Dilma Rousseff a été couvert par les sifflets d'une grande partie des tribunes du stade Mané Garrincha. Au même moment, la police repoussait des centaines de manifestants aux abords du stade, venus réclamer des logements décents et protester contre le coût exorbitant de l'organisation de la Coupe du Monde.
« Les Brésiliens en ont marre de travailler pour payer leurs factures en hausse, pour louer des appartements minuscules, et finir la journée fatigués devant la télévision à regarder une novela. Cela ne peut plus durer,» expliquait lundi la jeune cinéaste Denise Soares, originaire de Ponta Grossa. « Ca a été la goutte d'eau qui a fait débordé le vase. Nous sommes témoins de cette violence depuis le temps de la dictature militaire, voire même avant. Les Indiens se font arrêtés, des populations tout entières sont déplacés. La société brésilienne a besoin d'une impulsion.»
Lundi, à Curitiba, ville de deux millions d'habitants dans le sud du Brésil, il y avait principalement des jeunes dans la rue. Les manifestants ont fait part de leur ras-le-bol en demandant au gouvernement de Dilma Rousseff d'investir de façon considérable dans l'éducation et les services de santé publiques. Les manifestants ont aussi réclamé une baisse des prix et de meilleurs salaires pour les fonctionnaires. Alors que le pays traverse un ralentissement économique inquiétant, le coût de la vie est en constante hausse, en particulier ceux du logement et de l'alimentation.
De nombreuses pancartes encourageant les étrangers à boycotter les manifestations sportives étaient aussi présentes dans la foule, qui a regroupé près de 10,000 personnes dans la capitale du Parana. De nombreux observateurs locaux expliquent qu'une manifestation d'une telle ampleur n'avait pas eu lieu depuis la chute du Président Fernando Collor en 1992 suite à une sombre affaire de corruption. « Sort de Facebook et envahi les rues, » incitait une pancarte tenu par un étudiant.
Pour la première fois depuis son éléction à la Présidence de la République en 2010, la travailliste Dilma Rousseff a vu sa côte de popularité chuter de huit points en juin, selon l'institut Data Folha. Elle vient d'ailleurs d'annuler un déplacement officiel au Japon prévu la semaine prochaine. « Nous ne lacherons pas, » criait lundi une avocate d'une trentaine d'années dans les rues de Curitiba, « le Brésil doit changer ».